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Citation de martineden74


Le vagabondage est un terme répressif, une pure création du droit pénal; il n’a pas d’existence en dehors de l'infraction juridiquement constituée. On est vagabond quand on est arrêté. L’ambiguïté de ce statut est particulièrement troublante : juridiquement parlant, les vagabonds n’ont violé aucune loi (à l’exception des lois contre le vagabondage), n’ont commis aucun crime. Mais leur « mode de vie » suppose une éventuelle violation des lois : les vagabonds sont toujours des hors-la-loi potentiels, par anticipation. Un auteur décrit cette ambiguïté de la façon suivante : « Il ne suffît pas de dire au vagabond, comme aux autres délinquants : “Ne recommencez pas, abstenez-vous”; mais il faut lui dire : "Changez votre manière de vivre, créez-vous d'honnêtes moyens d'existence. Prenez l'habitude du travail. et que ce soit le travail qui désormais vous procure la subsistance de chaque jour”. » Leur existence. de par la « virtualité » ou la « potentialité » de leurs crimes, les rend plus menaçants et moins prévisibles que le criminel — c’est ce que montre clairement Le Vagabond, nouvelle de Maupassant écrite en 1887. Les vagabonds sont victimes d’une hérédité dangereuse et porteurs du germe fatal de la « dégénérescence »; « contagieux » au sens médical et social du terme, ils sont l'incarnation d'une maladie sociale qui ne frappe pas tant un individu qu’une famille, une génération, une lignée". Leur problème, comme celui de Rimbaud, est le « mauvais sang ». Le flou qui entoure la « tendance potentielle » du vagabond à faire le mal reçoit, après la Commune, une identité précise, un visage. Les vagabonds sont désormais des insurgés politiques en puissance :

On comprend ce que doit être le concours de pareilles gens pour les ennemis de l‘ordre établi, lesquels poussés par divers mobiles d'ambition, d'envie, de colère, veulent s'insurger contre l’ordre établi. Ceux-ci trouveront en eux des hommes d'action, toujours prêts à tout faire, qui pour un cigare eu un verre d'eau-de-vie. mettraient le feu aux quatre coins de Paris. Les vagabonds sont les ennemis les plus dangereux de la société. […] ils vivent au milieu de nous comme), vivraient des bêtes sauvages. sans autre souci que celui de leurs appétits […] Déplorable, au point de vue de la société; car le vagabond, n'ayant rien à perdre aux bouleversements sociaux, les désire et y aide dans l'espoir d'y gagner quelque chose. […] Le vagabondage n'étant pas seulement un fait, mais un état, une sorte d’infirmité morale. (Théodore Homberg - Etudes sur le vagabondage)

Les remèdes au vagabondage vont de l’édification (« Il faut apprendre aux hommes, non seulement par des lois et des discours, mais encore par l'exemple, que rien n’est si beau que le travail ») à la répression la plus sévère. À propos du renvoi de Rimbaud à Charleville après son arrestation à Paris, le rapport de police indique : « demi venu de Charleroi à Paris avec un billet pour saint-Quentin, et sans domicile ni moyens d'existence". » En fait, le code pénal français de 1810 (article 270) définit le vagabond non seulement comme sans domicile, mais plus spécifiquement comme sans métier : « Les vagabonds ou gens sans aveu sont ceux qui n'ont ni domicile certain, ni moyen de subsistance et qui n’exercent habituellement ni métier ni profession. » Rimbaud bénéficia d'une révision du code pénal datant de 1832 qui distinguait juridiquement les adultes des adolescents : alors que les premiers étaient passibles de six mois de prison, les adolescents de seize ans ou moins étaient, selon les circonstances, renvoyés chez leurs parents ou placés sous la surveillance de la police jusqu’à 21 ans, s'ils n’avaient pas déjà à cet âge, été admis dans l’armée.
Plus tard au XIXe siècle, le gouvernement français apprendrait à appliquer au vagabondage - « cette inquiétante manie de locomotion et d’oisiveté [qui] paraît être un des types conservés de la vie libre du sauvage » - un traitement plus efficace, quoique homéopathique : une errance organisée sous la forme de l’exploration géographique et de l’expédition coloniale, solution défendue par certains auteurs :

Un jour que je siégeais à la chambre correctionnelle de la cour d'appel de Rouen. nous eûmes à juger un jeune homme prévenu de vagabondage. et ayant déjà subi quatre condamnations pour ce même délit. .
« Pourquoi appelez-vous ? lui demanda le président, vous n'avez été condamné qu'à six mois de prison, en première instance; c'est la peine que vous venez de voir prononcer contre des hommes qui comparaissent pour la première fois devant la justice. »
« Pourquoi j'appelle ? répondit le prévenu ; j’appelle pour que vous m'envoyiez dans les colonies. La, peut-être. je pourrai faire quelque chose de mieux que ce que je fais en France » (Théodore Homberg - Etudes sur le vagabondage)
Quant à la transportation. en attendant qu'une loi, que nous savons être en préparation sur cette matière, ait été rendue, si l'État voulait favoriser le transport et l’établissement des vagabonds sur le sol algérien…
Que s'ouvre pour eux un autre asile, et. de même qu'à Rome une loi décrétait que les mendiants rebelles soient conduits aux colonies (de mendicatibus validis), qu'un règlement nouveau vienne ouvrir ces magnifiques domaines que la France possède au-delà des mers. (Charles Portales - Des mendiants et des vagabonds)
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