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Citation de Cielvariable


Sa main droite cherchait un creux dans la roche en surplomb. Elle pouvait faire deux tentatives, peut-être même une seule. Sinon, ses forces l’abandonneraient et, sans puissance dans les bras et les doigts, elle serait perdue. Heureusement que le geste de sa main gauche fut efficace, car, aujourd’hui, elle n’arrivait pas à se libérer la tête. Peut-être était-ce dû au fait que la fac était en pleins préparatifs pour la visite de la gouverneure générale qui, dans le cadre d’une campagne pour la formation universitaire, visitait toutes les universités d’élite.

Les parents de la plupart des étudiants des premières années y étaient attendus et, mon Dieu, était-ce étonnant qu’elle pense aux siens ? On ne peut pas simplement effacer de sa mémoire des mots comme « maman » et « papa ». Même quand ils ne méritent pas du tout d’être appelés ainsi.

Katie avait trouvé une faille, mais son index droit y sentit une minuscule pierre qui la déstabilisa et, l’espace d’un instant, elle eut le sentiment de flancher. Elle tendit la jambe gauche vers le côté et trouva d’emblée l’arête sur laquelle il lui fallait s’appuyer pour évoluer vers le haut. Elle se concentra, une secousse traversa son corps, et elle tendit la main droite vers le haut. Mais elle sentit immédiatement que sa première tentative allait échouer.

De la sueur perla sur son front quand elle retira sa jambe. Sa main droite retrouva sa position précédente. Elle appuya un instant son corps contre la falaise froide.

Putain ! Au diable les chats qui grimpent sur les falaises avec une assurance de somnambule ! Elle jura à voix basse. Que lui arrivait-il aujourd’hui ? Si la prochaine tentative échouait elle aussi, elle y passerait. Elle sentait déjà ses doigts trembler de manière suspecte. Quand, une bonne heure avant, elle s’était faufilée hors de la fac, un silence de mort régnait encore dans l’appartement qu’elle partageait avec trois autres étudiantes : Debbie, Rose et Julia. Elle ne manquerait à personne, sauf peut-être à Julia. Les autres s’étaient habituées à ce qu’elle vive sa vie et ne s’intéresse pas beaucoup à ses camarades. De toute façon, la plupart des conversations tournaient autour des cours, des crédits, des notes, des professeurs.

D’autre part, personne ne se douterait qu’elle se trouvait dans la zone interdite. Pas après les événements qui étaient survenus trois mois auparavant, la nuit d’horreur, comme Debbie l’appelait.

Comme si Katie allait se laisser intimider par quelques panneaux de tôle et renoncer à escalader cette falaise. Non, elle vivante, Katie West n’accepterait jamais une frontière que d’autres lui imposeraient. Pas par le directeur, M. Walden, pas par ses professeurs et encore moins par son père.

Elle tourna la tête vers la droite, où le Fantôme, désormais illuminé par le clair soleil matinal, s’élevait au-dessus du lac Miroir.

Son prochain objectif.

Son cœur se mit à battre plus vite, d’excitation et de hâte.

Oui, cette idée lui semblait être la bonne.

Pour la seconde fois, la main de Katie farfouilla sur la falaise froide, humidifiée par la rosée, à la recherche de la minuscule fente au-dessus d’elle, jusqu’à ce qu’elle trouve la faille récalcitrante et s’y agrippe. Elle tendit sa jambe gauche.

Concentre-toi, Katie !

Plus qu’un mètre. Un seul petit mètre. Qui lui demandait tant d’efforts.

Les chats ont sept vies. Tant de risques joués sur une seule carte. Si elle parvenait au bout de la falaise, là-haut, elle se sentirait libre. Et elle surmonterait ce jour comme elle avait surmonté les 100 derniers jours dans la vallée. Pour Katie, il n’était pas envisageable d’abandonner. Cela aussi, elle le devait à Sébastien.

Plus haut, les prises étaient de plus en plus éloignées. Elle agita un bras, puis l’autre, et saisit le magnésium sur sa hanche. Sa jambe gauche sembla presque s’enfoncer dans la paroi, tandis qu’elle s’en dégageait de toutes ses forces.

Tout doux, Katie. Du calme.

La tentative suivante fut la bonne. Elle répéta les mouvements dans sa tête. C’était sa trajectoire. Elle connaissait tous les détails et lui avait même donné elle-même son nom : Rêve noir.

Elle n’avait trouvé aucun indice montrant que quelqu’un avait escaladé cette paroi avant elle. Pas de crochet, pas de voie tracée dans la falaise, aucune trace.

Et quand tu auras réussi à grimper tout en haut sans sécurité, à t’être hissée à la force de ton seul corps, tu te sentiras bien. Tellement bien !

En silence, elle fit le décompte des secondes à partir de 10, pour à 3, 2, 1 prendre une profonde inspiration. Son corps se tendit, s’aligna, et voilà qu’elle était suspendue au-dessus de la roche sur laquelle elle se tenait encore il y a un instant.

Oui !

Cette falaise était sa falaise. Ce matin était son matin. Ce jour était son jour. Et personne ne pourrait le lui prendre, surtout pas son père. Pas lui. Précisément pas lui. George West, son père, s’était un jour tenu face à elle avec cette lettre dans sa main : « Je ne savais pas que tu avais postulé pour ce collège. »

Katie s’était contentée de hausser les épaules et de répondre avec impertinence : « C’est ma décision.

— Tu veux donc aller au Canada ? »

Au Canada ? Jamais, auparavant, Katie n’aurait pu avoir cette idée. Mais l’histoire avec Sébastien ne datait que de quelques semaines. Il avait été son premier amoureux. Son premier et le seul, et elle aurait tout donné pour qu’il soit encore en vie.

« Pourquoi pas le Canada ? Tu as quelque chose contre ? Tu préférerais que j’aille à l’Université de Georgetown ?

— En aucun cas. C’est déjà bien assez qu’on voie ta photo dans tous les journaux.

— Précisément. Alors, pourquoi aurais-tu besoin de moi en live et en couleurs ? »

Et sa mère ? Elle avait tiré cette mine totalement dépourvue d’émotions propre aux Chung. L’expression de leur visage s’était, au fil des nombreuses générations, figée génétiquement et s’était inscrite définitivement dans leurs chromosomes. Pourtant, les jours précédant le départ de Katie, elle avait été étrangement agitée, errant dans l’immense appartement, les mains constamment occupées à pousser des chaises, à ouvrir et à fermer des tiroirs, à redresser des coussins. Presque comme si le départ de sa fille la plongeait dans la panique.

Mais ensuite, elle n’avait même pas levé la main pour lui faire ses adieux. Et la phrase typique que toutes les mères disent à leur fille de 18 ans partant commencer une nouvelle vie à 3000 kilomètres de distance ne lui était même pas venue aux lèvres.

« Appelle-moi. »

Une décharge électrique avait traversé le cœur de Katie. Certes, du point de vue biologique, c’est autre chose qui s’était produit, mais c’est exactement l’effet que cela lui avait fait. Ce moment minuscule, extrêmement court, durant lequel l’organe le plus important de l’homme, celui qui le maintient en vie, perd le rythme. Et cela, simplement à cause de ce vieux souvenir. Merde !

De toute façon, pour ses parents, elle était comme morte !

Non, Katie, il faut inverser cette manière de penser. Ce sont eux qui sont morts pour toi.

L’espace d’un instant, elle se sentit malade comme un chien. Elle se trouvait toujours dans l’escarpement, les jambes écartées. Elle serra les dents et sentit que ses doigts trempés de sueur glissaient. Ses genoux tremblaient. Est-ce que le fait de penser à ses parents – cette décharge électrique – l’avait déconcentrée ? Nom de Dieu, elle savait bien, pourtant, que cela pouvait lui coûter la vie.

Mais elle comprit ensuite qu’autre chose l’avait effrayée. Et, une seconde après, elle l’entendit.

Chute de pierres !

Qui lui fonçaient droit dessus !

Ses doigts s’agrippèrent aux failles de la paroi. Ses pieds y collaient ; elle n’osait pas lâcher ne serait-ce qu’une seule main. Une pierre siffla à son oreille. Instinctivement, elle tendit la tête.

Son casque ! Elle l’avait oublié dans sa chambre, purement et simplement oublié.

Elle jeta un regard par-delà la paroi. Le soleil matinal, avec sa lumière claire, dessinait une ombre sur la falaise. Le soleil matinal. Pendant un fragment de seconde, il jeta un éclair dans les yeux de Katie.

Sa tête heurta la falaise.
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