Rien ne se voit quand je suis habillé. L'accident n'a pas marqué mon visage. C'est une chance. Mais ma blessure m'a laissé des séquelles très... inesthétiques, au niveau de la hanche et de la cuisse. Et puis, il y a cette canne. Un accessoire de dandy quand on est en bonne santé, mais le signe d'un corps imparfait quand on a réellement besoin de s'en servir...
En trois heures et demie à ses côtés, en quatre jours à fouiller dans sa vie, j’avais développé une dépendance effrayante. Il avait réussi à instiller le manque et vu l’état dans lequel je me trouvais depuis que j’avais quitté la prison, la période de sevrage allait être compliquée.
- Le fait que je vous pose des questions sur ce client implique-t-il forcément que je sois gay ?
- Non, mais le sourire que vous avez eu quand je vous ai dit comment il s'appelait et la lueur qui illuminait votre regard quand vous avez essayé d'en savoir plus sur lui, oui.
Diminué, mais sans réelle perte d'autonomie, j'avais pourtant l'impression que les autres ne se comportaient plus avec moi de la même manière qu'à l'époque où j'étais agile et je craignais cette confrontation à une normalité qui n'était plus la mienne.
Cet homme était toxique. A l’instar de la belladone ou du datura, sous son apparence tellement agréable se cachait la mort et je craignais que le contact de ses mains avec ma peau à trois reprises ait pu instiller le poison dans mes veines.
On ne peut pas tomber amoureux d’un tueur en série ignoble ! On ne peut pas éprouver de l’amour, de la tendresse, du désir pour un homme qui a tué et dans des circonstances aussi horribles ! C’est impensable ! C’est totalement fou !
On porte désormais un regard sur Fabien le handicapé qui ne me donne plus vraiment envie d'aller "à la rencontre"... Soit il est empli de pitié, soit il est empreint de dédain, mais il n'en ressort jamais rien de bien.
Au-delà de mon handicap, notre différence d'âge serait-elle pour lui un obstacle à une relation ? Je n'avais que 43 ans ! "Mais dans d'autres circonstances, tu aurais pu avoir un fils quand tu avais 20 ans..."
Le regard qui appuya cette allusion me fit comprendre que la machine était bel et bien en route : séduction, manipulation ; à moi de prendre du recul et de voir clair dans son jeu.
Autant la veille, j’étais résolu à ne plus subir un nouvel entretien avec lui en prison, autant j’avais désormais besoin de le revoir.