Laine Fisher

Vous restez là à geindre, parce qu’au fond, il vous est agréable de vous apitoyer sur vous-même. Ça vous fait plaisir de vous répéter que vous êtes à plaindre, hein ? Il vous faut votre petite couronne d’épines personnelle, pour vous l’enfoncer sur la tête, en prenant bien soin de ne pas trop vous piquer ! Vous êtes tellement furieux d’avoir à payer le prix de vos erreurs que maintenant vous préférez vous abstenir de faire quoi que ce soit.

Elle avait tout l’air d’attacher beaucoup d’importance à son aspect extérieur. C’était sa façon à elle de protester contre la bêtise de toutes ses sœurs, mères de famille plus grasses et plus heureuses qu’elle. Ses yeux étaient noirs, vifs, intelligents. De légères pattes d’oie indiquaient seulement que cette protestation n’avait pas apporté beaucoup de gaieté dans sa vie.

Les hommes qui chassent, qui pèchent, qui jouent, qui courent la gueuse, bref qui, dans la vie, ne s’intéressent pas exclusivement à leur métier, savourent et recherchent le moindre instant arraché à leur travail. Mais ceux qui n’ont aucune de ces ressources, et font de leur besogne le symbole de leur virilité et de leurs mérites, considèrent leurs vacances comme un exil. Rawlin était de ceux-là. Il chérissait ses fonctions et l’exercice de son autorité avec la même ardeur qu’un amant apporte à caresser sa maîtresse.

— Je suis sûr que vous devez être aussi intraitable que le fameux policier de Victor Hugo !
— La comparaison n’est pas tout à fait juste... Je me sens moins proche de Javert que de Dupin, le héros d’Edgar Poe. Comme lui, ce qui m’intéresse surtout, c’est de résoudre un mystère. Mais quand on a aussi peur que vous de voyager, on ne doit pas se sentir d’humeur à parler littérature !

Le spectacle en valait du reste la peine. Elle avait la peau très douce et portait un tailleur de voyage, manifestement très coûteux, avec l’aisance que donne une longue habitude. Sa personne avait cet aspect méticuleusement soigné qui va de pair avec les loisirs et la fortune, sans compter le concours de multiples mains expertes dans l’entretien de la beauté féminine.

Dieu merci, les temps avaient changé ! Le présent avait mieux à lui offrir ! Certes, ça ne sentait pas toujours très bon, du point de vue de la morale professionnelle, mais ça dégageait du moins une forte, une attirante odeur de puissance…

Sa faim se trouvait maintenant reléguée au second plan, par un irrésistible désir de se sentir enfin propre – un désir né d’une semaine entière passée dans les mêmes vêtements, sans se déshabiller ni prendre de bain.

En incitant tous les hommes à vous courir après, alors que vous savez très bien que vous ne pouvez ni ne voulez appartenir à aucun, vous vous vengez de celui qui vous a fait du mal autrefois.

Quand tu as la chance qu’une fille aussi bien roulée ait envie de se faire embrasser par toi, elle a beau être cinglée, ce n’est pas à toi de faire la petite bouche !

Il se sentait soudain pareil à un homme qui croirait pendant longtemps traquer un cerf pour découvrir, en fin de compte, qu’il n’a poursuivi qu’un petit poney.