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Critiques de Lars Hellwinkel (1)
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L'épuration économique en France à la Libération



L'épuration économique en France et en Belgique est une oeuvre réalisée par 26 spécialistes sous la direction de Marc Bergère, maître de conférences en histoire contemporaine à l'université de Rennes 2 et chercheur au CERHIO (Centre de recherches historiques de l'Ouest). Il est un des grands experts de l'histoire sociale et culturelle de l'épuration en France.

Disons-le d'emblée, il s'agit d'un travail très solide, royalement documenté et dont l'approche est bien équilibrée. Cet ouvrage de 343 pages est subdivisée en 3 grandes parties : 1) objet et enjeux ; 2) la diversité des acteurs et des procédures et les différences régionales et 3) la diversité des branches de l'économie et des entreprises. Le tout est introduit brièvement par Marc Bergère et les conclusions sont de Marc Olivier Baruch, directeur d'études à l'EHESS (École des hautes études en sciences sociales) et l'auteur de "Le régime de Vichy: 1940-1944" et de "Servir l'État français, l'administration en France de 1940 à 1944".



En 1940, mon père qui avait une petite entreprise de transports publics, a vu ses autobus confisqués par les Boches. Sauf 2 qu'il avait démontés et cachés dans la ferme d'un pote. Manque de pot pour lui ce pote était un coureur de jupons invétéŕé (qui avait engendré dans le coin une belle collection de petits bâtards qui se ressemblaient tous) et un mari jaloux, à la fin de la guerre, a dénoncé aux fameuses Brigades Blanches le fermier et mon père. Les 2 ont passé un très bref séjour en taule, libérés avec les excuses du président de la Cour martiale de Courtrai et mon père a pu relancer son commerce avec ces 2 bus plus 2 autres à plateforme de la ville de Paris, pour l'achat desquels il avait reçu une subvention gouvernementale et un crédit de la banque. Cela s'est passé un an avant ma naissance, mais ma mère m'a souvent raconté comment mon père, réputé foncièrement honnête et social, avait été choqué..... et elle en pleurs !



C'est sans doute la raison pour laquelle l'épuration m'a poussé à lire plusieurs ouvrages de ce phénomène avec tout son arbitraire et ses excès.

Je tiens juste à citer ici l'excellent ouvrage de Pierre Assouline "L'épuration des intellectuels", lu et chroniqué le 9 août 2017.



L'anecdote de mon père relève, bien entendu, de la toute petite histoire ("a Mickey Mouse story") en comparaison avec certains dossiers volumineux de collaboration économique à outrance avec l'ennemi. Néanmoins, elle illustre certaines caractéristiques de l'épuration, particulièrement celle de tout de suite après la guerre : la présence de Brigades Blanches qui comptaient parmi leurs recrues beaucoup d'aventuriers populistes et résistants de la dernière heure, le débordement des cours martiales créées à cet effet sans grande préparation, la dénonciation par toutes sortes d'individus pour toutes sortes de raisons et le drame pour les familles victimes de cet "enthousiasme" populaire.



Marc Bergère a trouvé comme titre de sa brillante introduction les mots qu'il fallait : "Introduction pour une épuration économique à géométrie variable". Il y rappelle la constatation du célèbre historien et écrivain français, Henry Rousso, "La collaboration économique a été la plus importante et la plus répandue. Mais sa répression fut plus que modérée". Rousso, l'inventeur des termes "résistancialisme" et surtout "négationnisme", avec ses nombreux ouvrages sur Vichy, sait de quoi il parle. Le bilan général de l'épuration française "apparaît, en premier lieu, très contrasté". Eĺe à été inégale dans le temps et dans l'espace, "elle fut parfois incohérente, notamment laissant hors de portée la collaboration la plus importante..."



Marc Olivier Baruch dans ses conclusions "Kaléidoscope de la grisaille" se montre même encore plus dur. Il note que le Gouvernement provisoire voulait procéder à une épuration à la fois rapide, juste et approfondie, mais : "Il était très vraisemblablement conscient de la nasse dans laquelle il s'enfermait, et que l'objectif ne serait pas tenu parce qu'il était intenable" (page 331). Il y avait bien sûr les impératifs d'une relance économique urgente, mais aussi ce désir de revanche contre le monde patronal et les réalités de la situation politique et syndicale entre fin 1944 et l'arrêt officiel de l'épuration en 1960. Comme l'a signalé Raymond Aron dans son livre "Les désillusions de la liberté" : "L'épuration était un acte révolutionnaire mis en forme légale, condamné par définition à ne satisfaire ni les révolutionnaires ni les légalistes".



Pour les intéressés par les bagnoles (comme moi), il y a tout un chapitre sur l'épuration dans l'industrie automobile, (pages 229 à 257) avec des noms familiers. Il y a les bons élèves comme Citroën et Peugeot, les mauvais tels Ford (SAF) et Simca, ainsi que le cas particulier de Berliet.



En fin de volume figure une liste des 26 collaborateurs à cet ouvrage avec un bref descriptif de leurs titres, fonctions et contributions historiques principales. Pour mon pays a collaboré à cette étude le professeur Dirk Luyten de l'université de Gand et chef de travaux au Centre d'études et de documentation guerre et sociétés contemporaines, CEGESOMA de Bruxelles et auteur de très nombreux livres et articles historiques, entre autres du best-seller en Flandre : "Papy était-il un nazi ?"



Je sais bien que le nombre de publications sur l'occupation nazie de nos pays, l'épuration et la répression d'après-guerre sont considérables, mais force est de constater que cet ouvrage sort du lot par son analyse réfléchie, minutieuse et cohérente d'une réalité qui a marqué une période difficile dans notre histoire.



PS : 1) Sur la photo de couverture, reprise en grand sur Babelio, on voit Marius Berliet des camions et autobus (et voitures) qui portaient son nom (aujourd'hui devenus Renault), lors de son procès en 1946 à Lyon. Il avait 80 ans, était gravement malade et fut condamné à 2 ans de prison, la confiscation des biens et l'indignité nationale. Peu après sa mort en 1949, les usines furent restituées à sa famille.

2) Sur une vieille photo héritée de mon père, on peut lire sur un bus parisien à plateforme typique, avant sa métamorphose conforme aux normes belges, clairement sa destination : Gare St. Lazare !

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