Delphine vivait maintenant dans deux mondes bien distincts: celui des malades quand elle était auprès d'Antoine, et un autre monde parallèle qui lui paraissait bien étrange dès qu'elle sortait de l'enceinte de l'Institut Croussy. Lorsuqu'elle quittait l'hôpital pour retrouver un quotidien fait de préoccupations matérielles, il lui était insupportable de voir que des gens continuaient à vivre normalement, ignorant que la Grande Faucheuse se frottait les mains là-bas et ne se contentait pas que de chairs fanées. Delphine les regardait s'affairer, courir d'un endroit à l'autre, à la recherche d'achats inutiles ou bien assis à la terrasse des cafés, échangeant des propos superficiels et vivant l'instant présent comme des fourmis. Personne ne semblait rien comprendre, pas même le temps qui aurait dû savoir qu'il fallait un ciel chargé, orageux, noir, ou bien des nuages pesant sur l'horizon et non pas un ciel dont le bleu lui éatit insupportable. Elle voulait des feuilles recroquevillées tourbillonnant à ras du sol mais des bourgeons indécents jaillissait un feuillage vert, tendre et innocent qui avait soif de vie. Elle aurait voulu leur crier, à tous ces gens, qu'ils perdaient leur temps, que seul compte l'amour, qu'il fallait qu'ils ouvrent les yeux, mais aucun son ne sortait de sa gorge.
" Je vous ai vue samedi, offrant votre beauté dans les rues d'Arles, à tous les yeux que le charme et la fraîcheur émeuvent encore. Depuis, je ne dors plus. Je crois que je suis tombé fou amoureux de vous. En souvenir de cette image gravée dans mon esprit, je vous prie d'accepter ce brin de lavande, symbole du bonheur que je vous souhaite."