Lorsqu’il n’était pas un devoir, un acte d’amour ou de désespoir, le tir était simplement un réflexe. Il était une réponse au besoin de se sentir vivre dans une réalité qui s’imposait plastiquement, de manière plus ou moins fragmentée.
Pendant la période au cours de laquelle je m’étais entraîné avec constance, je m’étais souvent laissé griser par les rythmes du tir automatique, les rafales vaporisées dans l’air, sur des cibles minuscules et mouvantes. Cette phase correspondait aux dernières années de mon inscription au barreau zurichois. À l’initiative de clients, j’avais essayé des armes de guerre en bordure de forêt ou sur des parkings presque déserts. La nuit, sur le lac, nous visions des bateaux avec des balles traçantes.
Les objectifs primaires, les risques et la chance inhérents à ce genre d’affaires étaient devenus le cordon gemmé qui me retenait à la vie. Si je réussissais, l’argent gagné en une nuit, en deux jours, tombait en pluie chaude sur mon corps. Pour ressentir physiquement les effets de ces instants d’appropriation, j’étais prêt à casser des banques, à entrer dans des musées, des bijouteries, armé. De la manière la plus intime, j’éprouvais le besoin de m’engager dans la violence représentée par les samouraïs robotisés de l’artiste portoricain, projets infantiles et guerriers détruisant les pans de béton, tirant dans tous les angles qu’il leur était possible d’atteindre. J’étais indifférent au sens de ce désir, au désir des éclats produits par les balles, à la poussière. Je dépensais sur-le-champ et sans investir à terme la part la plus importante des bénéfices retirés, le reste de ceux-ci étant versé sur un compte bancaire dont j’ignorais l’état.
Le ciel était un diamant au-dessus des jardins de l’Eden Club, éblouissant comme le désir vide de longer le fleuve, de s’égarer dans le labyrinthe de végétation pour s’offrir à l’agressivité des fleurs. Pour fermer les yeux et succomber au goût du poison.
J’ai fermé les yeux pour la laisser me pénétrer. Je préférais attendre dans cette ambiance qui me comblait encore, dans laquelle aucun des détails visibles n’était vain, dans laquelle tous, à chaque instant, semblaient devenir plus imposants, surpassant les simples fantaisies produites par l’inspiration solennelle de leur concepteur, chaque jour davantage chéri des observateurs, initiés ou non, conscients ou non d’être incorporés et condamnés dans ses œuvres.
Elle pressait ses seins sur ma poitrine, mon ventre, son buste saupoudré de coco. Elle m’a griffé le cou et les épaules de ses ongles, elle a posé ses lèvres et pressé ses dents amères sur ma bouche. Pendant quelques secondes, elle s’est abandonnée puis elle s’est tournée. Elle semblait attendre le premier vacillement, la douce accélération qui l’emporterait. Elle s’est baissée, elle est descendue en moi.
Son corps était souple, puissant, merveilleusement compatible au mien. Seymour était la princesse descendue du ciel, la princesse qui avait tous les dons et recevait tout avec grâce.