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Citation de audelagandre


« Je sais très bien qu'il n'y a rien après la mort et que personne ne monte nulle part, mais j'avais besoin de m'expliquer. Il fallait que je te dise tout haut pourquoi je m'en vais, pourquoi je quitte notre maison. D'abord, ce qui est sûr, c'est que ma petite-fille ne m'abandonnera pas, elle. Oui, parce que j'ai franchement tous les droits de t'en vouloir. Quoi qu'on en dise, tu t'es fait la malle en douce. Ni au revoir, ni merci, ni rien. Soixante-six ans de mariage et pas un mot. Mais moi ça ne me va pas du tout que tu sois parti sans que je puisse te dire le fond de ma pensée. Une vie entière que j'ai passée à n'être que pour toi. J'aurais préféré naître tout court si on m'avait demandé mon avis. Une existence régie par la tienne, rythmée par tes départs, tes absences et tes retours. Tu trouvais ça tout à fait normal, n'est-ce pas? Que tout s'organise ainsi. Là, tu rétorquerais sûrement que rien n'était pour toi vraiment, mais tout pour nous, pour la famille, parce que c'est comme ça que cela doit être. J'aurais bien aimé t'y voir. Tenir la maison, vous nourrir tous, être disponible et disposée pour toi et tes enfants. Sans week-end, ni congés. Sans rémunération non plus.
Être dans le monde m'a manqué, Jacques. Même si j'ai essayé, jamais je ne te l'ai dit ainsi, c'était trop pénible à avouer. J'aurais voulu participer à la vie en dehors de vous.
Avoir des collègues, des décisions à prendre, des dossiers à remplir et à envoyer à des gens qui les attendent. J'aurais tant aimé avoir à penser à des choses plus spécifiques que la routine du quotidien. Rien ne m'a jamais excitée. C'est la joie de me sentir vivante qui m'a manqué, celle d'être utile par ma tête.
Alors oui, d'accord, je ne travaillais pas comme certaines femmes ou comme celles d'aujourd'hui, mais j'avais la sensation d'en faire dix fois plus que toi, figure-toi. Je n'ai jamais calculé, mais j'aurais pu. Compter l'attente déjà. Sous toutes ses formes. Attendre mes règles chaque mois, attendre un enfant, puis deux, et trois, attendre de pouvoir récupérer un corps qui fonctionne, attendre que tu rentres pour diner, que tu partes pour faire le ménage, attendre que les enfants reviennent de l'école, qu'ils grandissent pour enfin attendre la ménopause. Et là, attendre encore, la fin des fins. Qui a fait attention à celle qui toute sa vie a attendu que d'autres vivent? Ma seule carrière fut de devenir une épouse dévouée. »
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