En ce qui me concerne, je suis revenue après la Seconde Guerre mondiale dans ma ville natale en tant qu’épouse d’un Yougoslave et dans la folie politique des années cinquante il m’a fallu faire preuve d’efforts, de patience, et me constituer une épaisse carapace pour retrouver ma nationalité tchécoslovaque. Comme j’ignorais auprès de qui, auprès de quoi j’aurais pu me plaindre de la lenteur des démarches, de l’accueil antipathique et des délais constamment repoussés, je m’adressai comme d’habitude dans ce genre de situations embrouillées à mes protecteurs du café de rêve. (…)
« Nous, ici -à qui s’en plaindre-, il nous est accordé le repos éternel, mais qu’est-ce qui attend encore nos anciens concitoyens sur la terre ? »
Après ce profond soupir, le silence se fit à nouveau. Kisch ne fait que retirer sa cigarette du coin de sa bouche, Kafka devient encore plus pâle, déconcerté, František Langer secoue la tête, Rainer Maria Rilke et Franz Werfel échangent des regards compréhensifs, Jaroslav Hašek, de mauvaise humeur, contemple son verre de bière rempli d’un liquide incolore (un paradis sans bière de Bohème -quelle ironie !)