Lesléa Newman

"LA COMPLAINTE DES RAGNAGNAS"

De toutes les joies du lesbianisme, qui sont trop nombreuses pour que je les énumère,il y en a une dont je me passerais volontiers :
le plaisir qu'ont deux femmes à partager leur vie, à s'aimer tendrement et à attendre leurs règles au même moment.
Ce n'est pas joli à voir, croyez-moi.
Heureusement je n'ai plus à me soucier de cette terrible situation puisque ma bien aimée, en puisant dans ses vestiges de sagesse féminine, a trouvé le moyen de ne plus avoir ses règles.
Elle suscite la jalousie chez nos amies de la génération du baby-boom et des suivantes : elle a travaillé dur et mené à bien sa ménopause.
Et c'est une excellente initiative car j'ai assez de symptômes prémenstruels pour deux.
L'avantage d'être une lesbienne est ainsi indiscutable : mon amante a connu cette situation elle aussi.
Seule une femme qui aurait marché deux kilomètres chaussée de mes mules - les pieds gonflés au minimum- pourrait sans doute me comprendre et endurer le monstre qui se réveille en moi sept jours par mois.

DIMANCHE, PREMIER JOUR :

Il est 3 heures du matin.
Flash entre au radar dans la salle de bains et me trouve à quatre pattes dans la baignoire, complètement nue, frottant le bas du rideau de douche avec du Scotch-brit.
- Pourquoi fais-tu ça maintenant ? demande t-elle poussée par une curiosité non feinte.
- Parce que je ne vais pas supporter la shmutz dans cette maison une minute de plus ! dis-je en rassemblant toute l,huile de coude dont je dispose.
- Viens donc te coucher, m'encourage t-elle en me tendant la main, la saleté sera encore là demain matin.
Je rétorque en redoublant d'effort :
- Plutôt mourir!
- Symptôme prémenstruel ou je me trompe... chantonne t-elle.
- Tu te trompes !!
Je hurle en lui lançant le Sotch-brit à la figure.
Elle l'esquive et retourne se coucher, avec l'espoir de pouvoir dormir un peu. Elle aura besoin de toutes ses forces : la fête vient de commencer.

LUNDI, DEUXIEME JOUR :

Je me tiens devant le four et pique avec un cure-dent des muffins au son pour vérifier si ils sont cuits.
A présent que la maison est plus propre que lorsque mes parents sont venus nous rendre visite, mes instincts domestiques se sont reportés sur le royaume de la nourriture.
Flash et moi avons des habitudes alimentaires déplorables et je suis déterminée à les changer. Ces muffins sont un bon point de départ ; à priori ils contiennent plus de fibres que toutes nos chaussettes réunies.
Je mets sur la table du beurre de soja, de la confiture biologique, les muffins et du café. Flash pénètre dans la cuisine, s'affaisse sur une chaise et sirote sa dose de caféine matinale.
- Prends un muffin, chérie, lui dis-je d'une voix suave.
- Non,merci.
- Tu sais que le petit déjeuner est le repas le plus important de la journée ?
- Je n'en ai pas pris depuis 1969, me rappelle t-elle, comme si je n'avais pas remarqué que depuis six ans, elle n'avale rien d'autre que du café et parfois de la vitamine C jusqu'au repas de midi.
- Mais je les ai préparé pour toi!
Je me mets à pleurnicher.
- Je vais en emporter un au travail et je le mangerai au déjeuner me promet t-elle.
Je hurle, soudain furieuse :
- Mais je veux que tu le mange maintenant!
J'attrape un muffin et je le jette à travers la pièce.
Flash récupère ses clefs de voiture, se dirige vers la porte, le tête dans les épaules et me lance un "bonne journée!"

MARDI, TROISIEME JOUR :

Flash sort de la douche et me trouve assise en peignoir, sur le bord du lit, image vibrante du désespoir.
- Que se passe t-il ? s'enquiert-elle avec précaution.
- Je n'ai rien à me mettre.
- Oh, c'est juste ça?
Cela ne la trouble pas vraiment puisqu'elle entend cette phrase dans ma bouche au moins une fois par jour.
- Allez viens, je vais t'aider à choisir quelque chose.
Elle ouvre mon armoire et doit y regarder à deux fois : des cintres, des dizaines de cintres à perte de vue. Vides.
- Ma puce, dit-elle doucement, où sont passés tes vêtements ?
Je gémis d'une voix misérable :
- Ils sont partis.
- Ils sont partis où ?
- A l'armée du Salut. Je n'en aimais aucun.
Flash me fixe d'un air stupéfait.
- Aucun ? demande t-elle.
- Aucun. Sauf ça.
Je me dirige vers ma commode et en retire une combinaison pantalon moulante en velours noir, achetée sur un coup de tête et que je n'ai jamais osé porter en public.
Flash me force à la mettre et nous conduit jusqu'à l'Armée du Salut. Je rachète ma garde robe complète en constatant avec plaisir qu'elle bénéficie d'une remise spéciale 50%. Je suis radieuse :
- Regarde moi toutes ces fringues géniales ! Et j'ai pu les avoir pour trois fois rien!"

...