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Citation de Partemps


C. Koan-i-ou et Pao-chou-ya, tous deux de Ts’i [2], étaient amis intimes. Koan-i-ou s’attacha au prince Kiou, Pao-chou-ya adhéra au prince Siao-pai. Par suite de la préférence accordée par le duc Hi de Ts’i à Ou-tcheu le fils d’une concubine favorite, une révolution éclata, quand il fallut pourvoir à la succession du duc défunt. Koan-i-ou et Tchao-hou se réfugièrent à Lou avec le prince Kiou, tandis que Pao-chou-ya fuyait à Kiu avec le prince Siao-pai. Ensuite ces deux princes, devenus compétiteurs au trône, s’étant déclaré la guerre, Koan-i-ou combattit du côté de Kiou quand celui-ci marcha sur Kiu, et décocha à Siao-pai une flèche qui l’aurait tué, si elle n’avait été épointée par la boucle de sa ceinture. Siao-pai ayant vaincu, exigea que ceux de Lou missent à mort son rival Kiou, ce qu’ils firent complaisamment. Tchao-hou périt, Koan-i-ou fut emprisonné. — Alors Pao-chou-ya dit à son protégé Siao-pai devenu le duc Hoan : Koan-i-ou est un politicien extrêmement habile. — Je le veux bien, dit le duc ; mais je hais cet homme, qui a failli me tuer. — Pao-chou-ya reprit : Un prince sage doit savoir étouffer ses ressentiments personnels. Les inférieurs doivent faire cela continuellement à l’égard de leurs supérieurs ; un supérieur doit le faire parfois pour quelqu’un de. ses inférieurs. Si vous avez l’intention de devenir hégémon, Koan-i-ou est le seul homme capable de faire réussir votre dessein. Il vous faut l’amnistier. — Le duc réclama donc Koan-tchoung, soi-disant pour le mettre à mort. Ceux de Lou le lui envoyèrent lié. Pao-chou-ya sortit au-devant de lui dans le faubourg, et lui enleva ses liens. Le duc Hoan le revêtit de la dignité de premier ministre. Pao-chou-ya devint son inférieur. Le duc le traita en fils, et l’appela son père. Koan-tchoung le fit hégémon. — Il disait souvent en soupirant : Quand, dans ma jeunesse, je faisais le commerce avec Pao-chou-ya, et que je m’adjugeais la bonne part, Pao-chou-ya m’excusait, sur ma pauvreté. Quand, plus tard, dans la poli­tique, lui réussit et moi j’eus le dessous, Pao-chou-ya se dit que mon heure n’était pas encore venue, et ne douta pas de moi. Quand je pris la fuite à la déroute du prince Kiou, Pao-chou-ya ne me jugea pas lâche, mais m’excusa sur ce que j’avais encore ma vieille mère, pour laquelle je devais me con­server. Quand je fus emprisonné, Pao-chou-ya me conserva son estime, sa­chant que pour moi il n’y a qu’un déshonneur, à savoir de rester oisif sans travailler au bien de l’État. Ah ! si je dois la vie à mes parents, je dois plus à Pao-chou-ya qui a compris mon âme. — Depuis lors, c’est l’usage d’ad­mirer l’amitié désintéressée de Pao-chou-ya pour Koan-i-ou, de louer le duc Hoan pour sa magnanimité et son discernement des hommes. En réalité, il ne faudrait, en cette affaire, parler, ni d’amitié, ni de discernement. La vérité est qu’il n’y a eu, ni intervention de la part des acteurs, ni revirement de la fortune. Tout fut jeu de la fatalité aveugle. Si Tchao-hou périt, c’est qu’il devait périr. Si Pao-chou-ya patronna Koan-i-ou, c’est qu’il devait le faire. Si le duc Hoan pardonna à Koan-i-ou, c’est qu’il devait lui pardon­ner. Nécessités fatales, et rien de plus. — Il en fut de même, à la fin de la car­rière de Koan-i-ou. Quand celui-ci eut dû s’aliter, le duc alla le visiter et lui dit : Père Tchoung, vous êtes bien malade ; il me faut faire allusion à ce qu’on ne nomme pas (la mort) ; si votre maladie s’aggravait (au point de vous emporter), qui prendrai-je comme ministre à votre place ? — Qui vous voudrez, dit le mourant. — Pao-chou-ya conviendrait-il ? demanda le duc. — Non, fit Koan-i-ou ; son idéal est trop élevé ; il méprise ceux qui n’y atteignent pas, et n’oublie jamais une faute commise. Si vous le preniez pour ministre, et vous, et le peuple, s’en trouveraient mal. Vous ne le supporteriez pas long­temps. — Alors qui prendrai-je ? fit le duc. — S’il me faut parler, dit Koan-i-ou, prenez Hien-p’eng, il fera l’affaire. Il est également souple avec les supérieurs et les inférieurs. L’envie chimérique d’égaler la vertu de Hoang-ti l’absorbe. Le coup d’œil transcendant est le propre des Sages du premier ordre, la vue pratique est le propre des Sages du second rang. Faire sentir sa sagesse indispose les hommes, la faire oublier fait aimer. Hien-p’eng n’est pas un Sage du premier ordre ; il a, du Sage de second rang, l’art de s’effacer. De plus, et sa personne, et sa famille, sont inconnues. C’est pourquoi je juge qu’il convient pour la charge de premier ministre. — Que dire de cela ? Koan-i-ou ne recommanda pas Pao-chou-ya, parce que celui-ci ne devait pas être recommandé ; il patronna Hien-p’eng, parce qu’il devait le patronner. For­tune d’abord et infortune ensuite, infortune d’abord et fortune ensuite, dans toutes les vicissitudes de la destinée, rien n’est de l’homme (voulu, fait par lui) ; tout est fatalité aveugle.
D. Teng-si savait discuter le pour et le contre d’une question, en un flux de paroles intarissable. Tzeu-tch’an[3] ayant fait un code nouveau pour la principauté de Tcheng, beaucoup le critiquèrent, et Teng-si le tourna en dérision. Tzeu-tch’an sévit contre ses détracteurs, et fit mettre à mort Teng-si. En cela il n’agit pas, mais servit la fatalité. Teng-si devait mourir ainsi. Teng-si devait tourner Tzeu-tch’an en dérision, et provoquer ainsi sa mise à mort. Naître et mourir à son heure, ces deux choses sont des bonheurs. Ne pas naître, ne pas mourir à son heure, ces deux choses sont des malheurs. Ces sorts divers échoient aux uns et aux autres, non pas de leur fait, mais du fait de la fatalité. Ils sont imprévisibles. Voilà pourquoi, en en parlant, on emploie les expressions, mystère sans règle, voie du ciel qui seule se connaît, obscurité inscrutable, loi du ciel se mouvant d’elle-même, et autres analogues. Cela veut dire, que le ciel et la terre, que la science des Sages, que les mânes et les lutins, ne peuvent rien contre la fatalité. Selon son caprice, celle-ci anéantit ou édifie, écrase ou caresse, tarde ou prévient.

E. Ki-leang, un ami de Yang-tchou, étant tombé malade, se trouva à l’extrémité, au bout de sept jours. Tout en larmes, son fils courut chez tous les médecins des alentours. Le malade dit à Yang-tchou : tâche de faire entendre raison à mon imbécile de fils. ... Yang-tchou récita donc au fils la strophe : ce que le ciel ne sait pas (l’avenir), comment les hommes pourraient-ils le conjecturer ? Il n’est pas vrai que le ciel bénit, ni que personne soit maudit. Nous savons, toi et moi, que la fatalité est aveugle et inéluctable. Qu’est-ce que les médecins et les magiciens y pourront ? — Mais le fils ne démordit pas, et amena trois médecins, un Kiao, un U, et un Lou. Tous trois examinèrent le malade, l’un après l’autre. — Le Kiao dit : dans votre cas, le froid et le chaud sont déséquilibrés, le vide et le plein sont disproportionnés ; vous avez trop mangé, trop joui, trop pensé, trop fatigué ; votre maladie est naturelle. et non l’effet de quelque influx malfaisant ; quoiqu’elle soit grave, elle est guérissable. ... Celui là, dit Ki-leang, récite le boniment des livres ; qu’on le renvoie sans plus ! — Le U dit au malade : voici votre cas. Sorti du sein maternel avec une vitalité défectueuse, vous avez ensuite tété plus de lait que vous n’en pouviez digérer. L’origine de votre mal, remonte à cette époque-là. Comme il est invétéré, il ne pourra guère être guéri complètement. ... Celui-là parle bien, dit Ki-leang ; qu’on lui donne à dîner ! — Le Lou dit au malade : ni le ciel, ni un homme, ni un spectre, ne sont cause de votre maladie. Né avec un corps composé, vous êtes soumis à la loi de la dissolution, et devez comprendre que le temps approche ; aucun médicament n’y fera rien. ... Celui-là a de l’esprit, dit Ki-leang ; qu’on le paye libéralement. — Ki-leang ne prit aucune médecine, et guérit parfaitement (fatalité). — Le souci de la vie ne l’allonge pas, le défaut de soin ne l’abrège pas. L’estime du corps ne l’améliore pas, le mépris ne le détériore pas. Les suites, en cette matière, ne répondent pas aux actes posés. Elles paraissent même souvent diamétralement contraires, sans l’être en réalité. Car la fatalité n’a pas de contraire. On vit ou on meurt, parce qu’on devait vivre ou mourir. Le soin ou la négligence de la vie, du corps, n’y font rien, ni dans un sens ni dans l’autre. — Voilà pourquoi U-hioung dit à Wenn-wang : « L’homme ne peut ni ajouter ni retrancher à sa stature ; tous ses calculs ne peuvent rien à cela. ... Dans le même ordre d’idées, Lao-tan dit à Koan-yinn-tzeu : quand le ciel ne veut pas, qui dira pourquoi ? c’est-à-dire, mieux vaut se tenir tranquille, que de chercher à connaître les intentions du ciel, à deviner le faste et le néfaste. (Vains calculs, tout étant régi par une fatalité aveugle, imprévisible, inéluctable).

F. Yang-pou le frère cadet de Yang-tchou dit à son aîné : Il est des hommes tout semblables pour l’âge, l’extérieur, tous les dons naturels, qui différent absolument, pour la durée de la vie, la fortune, le succès. Je ne m’explique pas ce mystère. — Yang-tchou lui répondit : Tu as encore oublié l’adage des anciens que je t’ai répété si souvent : le mystère qu’on ne peut pas expliquer, c’est la fatalité. Il est fait d’obscurités impénétrables, de complications inextricables, d’actions et d’omissions qui s’ajoutent au jour le jour. Ceux qui sont persuadés de l’existence de cette fatalité, ne croient plus à la possibilité d’arriver, par efforts, à prolonger leur vie, à réussir dans leurs entreprises, à éviter le malheur. Ils ne comptent plus sur rien, se sachant les jouets d’un destin aveugle. Droits et intègres, ils ne tendent plus dans aucun sens ; ils ne s’affligent ni ne se réjouissent plus de rien ; ils n’agissent plus, mais laissent aller toutes choses. ... Les sentences suivantes de Hoang-ti, résument bien la conduite à tenir par l’illuminé : Que le sur-homme reste inerte comme un cadavre, et ne se meuve que passivement, parce qu’on le meut. Qu’il ne raisonne
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