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Citation de Cielvariable


J’ai feuilleté le journal et j’ai pensé que je pourrais
arracher la page de la photo de Claire avant que ma
mère la voie, mais j’ai eu peur qu’elle fasse des histoires
et je l’ai laissée dans le journal. Ma mère explose. Elle
peut exploser à tout moment sans qu’on s’y attende.
Pour la photo de Claire, je me suis dit qu’elle ne la verrait
peut-être pas, mais le dimanche elle passe une partie
de la journée à scruter chaque ligne du journal. J’ai
avalé trois toasts de suite en pensant à ce qu’elle allait
dire. Une fois, je ne sais pas ce qui m’a pris mais je lui ai
raconté que Claire sortait avec le fils du docteur Blackburn
et que, lorsqu’il reviendrait de l’université, ils se
marieraient. Toute la famille de Claire ne parlait que de
ce prochain mariage. En attendant qu’il revienne, elle
continuait de travailler au comptoir cosmétique de la
pharmacie Duquesne. D’ailleurs, monsieur Duquesne
lui apprenait beaucoup de choses sur les médicaments
et parfois, lorsqu’il était parti manger, c’est elle qui remplissait
les prescriptions. Mais elle ne faisait ça qu’en
attendant. J’avais eu le malheur de rajouter que, lorsque
Claire serait mariée, elle ne pourrait plus se permettre
de parler au monde de la rue Mésy parce que toutes ses
amies seraient les autres femmes de docteur. C’est là que
ma mère a explosé. Elle s’est mise à crier que Claire
aurait dû entreprendre son cours commercial comme
elle lui avait conseillé et qu’il fallait qu’elle soit complètement
folle pour croire qu’un fils de docteur du quartier
Murdock allait se marier avec une fille de réparateur
de tondeuses. Et là, elle est repartie sur son histoire
d’instruction qui est la chose la plus importante pour
une femme parce qu’avec les hommes on ne sait jamais
et que dans la vie il faut être en mesure de se faire vivre.
Et surtout, j’avais besoin de me mettre dans la tête
qu’elle ne voulait pas entendre parler de garçons parce
que j’allais avoir affaire à elle. Lorsqu’elle s’emporte
comme ça, je finis par aller dans ma chambre pour lire
ou pour penser à Bruce. Ma mère me faisait peur. À
chaque fois, je me disais que j’aurais dû me taire, que si
j’avais fait attention cela ne serait pas arrivé mais, je ne
sais pas comment, ça arrivait tout le temps. Pour Claire,
ma mère ne comprenait pas qu’elle était la plus belle fille
de la ville, que tous les gars de La Pilule voulaient sortir
avec elle. Claire allait partir à Montréal et peut-être
devenir une vedette ou un mannequin. On allait la voir
à la télévision et dans le journal de vedettes que ma mère
achète parfois lorsqu’elle pique ses crises et qu’elle dit
qu’elle va partir pour toujours et que nous ne la reverrons
plus jamais. Ces fois-là, elle met son manteau pardessus
sa vieille robe et elle va au Casse-Croûte boire un
coke et parler avec madame Ménard, la propriétaire.
Elle passe une heure ou deux à lire son Échos Vedettes au
comptoir et elle revient avec un gros Saguenay Dry et
nous prépare notre repas favori: des hot-chickens avec
de la sauce brune en boîte et des frites. L’Échos Vedettes
est toujours au fond du sac et je me dépêche de le
prendre pour aller le lire dans ma chambre. Après, ma
mère le donne à madame Bolduc parce qu’elle ramasse
les journaux pour le camp de pêche de son mari.
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