Loan Boury

La photographie est quelque chose qui me fascine et qui m'effraie à la fois. C'est vrai, on prend souvent des photos, pour immortaliser des moments. Des moments qui ont une place importante dans notre cœur. La photographie sert à représenter une réalité et à garder des souvenirs. Mais si on garde des souvenirs, cela veut dire que sans les photos, nous oublierions tout ce que nous avions vécu, vu, ressenti ? Est-ce que si je ne photographiais pas certaines choses qui m'importent en ce moment même, je les aurais oubliées d'ici quelques années ? Je crains que la réponse ne soit oui. Le souvenir reste un certain temps dans notre esprit. Puis à un moment, il commence à s'estomper. Les traits de ce souvenir se font de plus en plus troubles jusqu'à disparaître complètement. Et nous n'avons plus idée de ce à quoi ressemblait ce souvenir. Peut-être était-ce comme ça ? Ou bien de cette manière ? Nous n'en avons plus aucune idée. Voilà ce qui m'effraie. Le fait de savoir que sans immortaliser le moindre petit moment qui nous ait donné de vivre, on peut l'oublier.

J'ai beau venir ici plusieurs fois par semaine, à chaque fois que mes yeux se posent sur ce lac, j'ai l'impression de le découvrir pour la première fois. J'allume mon appareil photo et règle le zoom avant d'appuyer. Le clic se fait entendre et l'instant est à présent gravé dans mon appareil à tout jamais. Cette brève complicité entre la prévoyance et le hasard a été capturée et ce fragment de temps me le rappellera à chaque fois que je verrai cette photo. Je marche et fais le tour de l'eau, sans lâcher mon objet favori. Je l'utilise dès que l'occasion s'y prête.

Je savais qu'on allait découvrir la vie à deux et qu'on réaliserait des dizaines et des dizaines d'expériences ensemble. On avait besoin l'un de l'autre pour avancer. Maintenant, bien que je sois toujours autant attachée à lui, je sais que ce n'est plus le cas. On a avancé séparément, dans des directions différentes. Tu sais, je ne crois pas au destin, pas vraiment. Je pense que c'est une chose à laquelle certaines personnes ont besoin de se raccrocher pour avancer

J'ai besoin d'évacuer toutes ces pensées nauséabondes de mon esprit. Et pour ça rien de mieux que quelques minutes dans une chambre avec Betty, comme au bon vieux temps. Je la tiens toujours par la main et l’entraîne dans le couloir. Il y a un gars qui est affalé dans un coin et qui vient de vomir. Je tire une grimace de dégoût lorsque je le dépasse. Je me retourne vers Betty et cette dernière m'adresse un sourire complice. Je pousse la porte d'une des chambres et par chance personne n'est à l'intérieur. À peine ai-je refermé la porte à clé derrière nous que Betty se jette sur moi et me couvre de baisers. Je fais de même et la soulève contre le mur. Elle enroule ses cuisses autour de ma taille. Nous échangeons des baisers sauvages et je la porte jusqu'au lit où je la dépose. Je me tiens au-dessus d'elle et lorsqu'elle s'arrête, je la regarde un petit moment avant de replonger sur ses lèvres.

Une fille, légèrement plus jeune que moi, toute souriante apparaît en second plan, derrière mon voisin. Je ne l’avais encore jamais vue par ici. Ses cheveux bruns légèrement ondulés tombent en cascade sur ses épaules.  Ses yeux, d’un bleu océan, tirent vers le vert. Sa peau, légèrement hâlée ne révèle aucune imperfection et ses lèvres sont rosées. Elle est très naturelle, ce qui me plaît bien. Une vague de parfum se dégage d’elle. L’odeur vient fouetter mon visage. Cela sent un mélange de fruits exotiques et de noix de coco, ce qui me rappelle les vacances que j’ai passées aux Seychelles, il y a quelques années avec Améliah. Elle est habillée d’une robe blanche, simple, assez longue.

Je ne me sens pas mieux, je suis toujours autant brisé, anéanti. Une simple brise pourrait me détruire en mille morceaux. Et j'en suis conscient. Totalement. Mais pour le bien de tout le monde, je dois faire comme si tout allait bien.

Ce gars est tout simplement un enfoiré. Il traite les gens comme des moins que rien et s'en prend aux plus fragiles. Et depuis quelques jours, il s'acharne un peu trop sur Emily à mon goût. Ses frères sont rarement là pour s'en apercevoir et je crains que si un jour ils le voient parler comme il le fait à leur sœur, cela ne dégénère. En parlant de ça, j'ai bien sympathisé avec Emily et ses frères. Ils mangent tous les midis avec nous et nous rigolons beaucoup. Ces trois personnes sont vraiment des gens sur qui je peux compter en cas de soucis.

Je n’étais plus capable de la regarder en me disant que je venais de lui mentir. J’ai seulement fait ça pour son bien et j’espérais qu’elle le comprendrait quand elle saurait toute la vérité. La France était du passé. Lauren était du passé et tout ce qui me reliait à ce pays était du passé. Chacune de ces personnes avait un passé, un présent et un futur, y compris moi. J’étais donc prête à revenir chez moi, à Santa Monica, avec ma famille pour retrouver mes proches et tout ce que j’y avais laissé quelques années plus tôt.

Le cours semble durer une éternité. Cette prof est la pire qu'il puisse exister. Ses cours sont ennuyants à mourir et sa voix est tellement aiguë qu'on pourrait croire qu'elle a un problème de cordes vocales. Quand la sonnerie retentit enfin, tous les élèves se lèvent rapidement avant de prendre la sortie, s'empressant de retrouver leur liberté et d'aller manger.

Elle a toujours été très convaincante. Peu importe la manière et la chose pour laquelle elle se bat, on finit par avoir le même avis qu'elle. Sauf qu’aujourd'hui ce n'est pas le cas. Certes, je veux percer dans le métier que j'aime depuis tout petit. Certes, je ne veux pas me faire exclure par peur de devoir renoncer à la fac de mes rêves.