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Citation de Charybde2


Je n’avais jamais imaginé que cela m’arriverait à mon tour. Je le savais bien pourtant, personne n’était à l’abri, il suffisait d’un mot de travers, d’une maladresse ou d’un peu de malchance pour être happé par la grande broyeuse. J’avais vu placés sous enquête administrative des ministres, des chirurgiens célèbres, des universitaires, des tribuns ouvriers, mais aussi de simple quidams qui avaient eu un jour la mauvaise idée de se trouver au mauvais endroit au moment où il ne fallait pas. Mais quand on a décidé de ne pas ajouter foi aux mauvais présages, on ne voit rien, même quand la foudre tombe à proximité.
Et puis un jour elle s’abattit sur moi, cette glu poisseuse que la Faculté appela par la suite angoisse administrative. Cela commençait par de petits signes auxquels on ne fait pas attention. Un collègue de longue date avec qui vous aviez l’habitude d’échanger des plaisanteries à la machine à café prétextait une urgence, un oubli soudain, pour fuir à votre approche, se dérober au moment de prendre l’ascenseur en votre compagnie. Les deux secrétaires attitrées de votre service, avec qui vous vous amusiez jusque là à entretenir des rapports galants, plongeaient le nez dans les dossiers ou semblaient hypnotisées par l’écran de leur ordinateur dès que vous mettiez le pied dans leur bureau. Elles ne riaient plus jamais. Vous demandiez, Mais où en est donc la réunion tant annoncée du Comité de coordination, et l’on vous répondait, Elle a déjà eu lieu il y a trois jours, vous constatiez qu’on avait oublié de vous y convoquer. Quant aux pots de fin de journée qu’on improvisait dans des bureaux ou dans un bar du quartier, ils semblaient avoir été supprimés ou alors on les organisait dans votre dos, vous en entendiez parler deux jours après. Il se faisait autour de vous un silence d’autant plus difficile à définir que, si vous aviez la naïveté de demander, Y a-t-il un problème, on vous répondait, Mais non, mon vieux, tout va pour le mieux, pourquoi poses-tu cette question ? S’interroger c’était déjà manifester de l’inquiétude, et manifester de l’inquiétude c’était un premier aveu de culpabilité.
Le dilemme dans ce genre de circonstance était de savoir s’il valait mieux faire le mort, tenir avec aplomb le rôle de l’innocent qui n’a rien à se reprocher et n’a rien remarqué, ou alors jouer les outragés et s’étonner en toute candeur d’avoir été mis à l’écart de tous les dossiers en cours. Le choix entre les deux options se jouait à pile ou face, mais dans la situation angoissante qui était la sienne, le paria penchait généralement pour la seconde, espérant au moins tirer l’affaire au clair et dissiper le malentendu, rêvant de s’entendre dire que tout ça n’était rien, qu’il se faisait des idées.
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