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Citation de Charybde2


Partout ailleurs dans les bureaux, tout le monde se méfiait de tout le monde. Sauf pour nous qui connaissions les angles morts et les failles des systèmes de surveillance, les faits et gestes des uns et des autres étaient captés en permanence dans l’ensemble de l’espace public, toute dénonciation un peu circonstanciée pouvait être vérifiée, il suffisait d’éplucher les données des appareils de contrôle pour retrouver la phrase incriminée, eût-elle été chuchotée à l’oreille en pleine rue. Deux mots de travers, et la machine inquisitoriale se mettait en branle. Il pouvait arriver, à l’occasion d’une fête un peu trop arrosée, que quelqu’un se laisse aller à des plaisanteries sur des sujets délicats. Généralement on faisait comme si l’on n’avait rien entendu. Mais parfois la remarque imprudente parvenait à une oreille malveillante. Ainsi un jeune collègue fraîchement promu aspirant contrôleur, voyant notre décontraction et le cynisme de bon aloi qui avait cours dans notre service, avait été saisi d’une sorte d’euphorie, En somme, avait-il hoqueté sous l’emprise de produits stupéfiants, il suffit pour avoir la paix de passer sous silence le fait que les Chinetoques mènent le monde et qu’on achève les vieillards, du moins si j’ai bien compris… Il avait bien proféré les mots impensables, Les Chinetoques… On achève les vieillards… Le double sacrilège aurait pu se perdre dans le brouhaha, mais un témoin de la scène avait rapporté la phrase à l’échelon supérieur. L’aspirant contrôleur, qui entre-temps avait dessoûlé et ne se souvenait de rien sinon de s’être amusé comme jamais dans sa vie, avait reçu une citation à comparaître devant ces messieurs de la Commission interne. Il n’était plus jamais ressorti de leurs bureaux et personne ne savait ce qu’il était devenu, ou plutôt nous nous en doutions tous, mais sans savoir exactement quel traitement on lui avait infligé, dans quel camp intermédiaire ou de transit on l’avait interné. Telle était la règle du jeu : on encourageait chacun à la prudence, on évitait la délation, mais si par malheur quelqu’un tombait, plus personne ne le connaissait, on détournait le regard même lorsque par mégarde on lui marchait dessus.
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