Louis Lourme

L’éducation commence par le respect. Mille signes montreront à un enfant ou à un adolescent s’il est, ou non, respecté par les adultes. L’espace qu’on lui alloue à la maison ou à l’école, le temps qu’on lui consacre, l’écoute qu’on lui offre, le ton sur lequel on lui parle, les responsabilités qu’on lui confie… en diront long sur la manière dont on le considère. L’interrogation sur sa propre identité travaille secrètement un jeune, surtout si l’histoire familiale a connu des bifurcations à l’occasion de migrations ou de séparations. L’identité personnelle est toujours en construction, au croisement des appartenances diverses qui la constituent. Être reconnu par ses pairs est vital. Être reconnu par ses maîtres ouvre un chemin de confiance en soi qui permet de grandir et de s’ouvrir.

Les disciplines scolaires sont autant de fenêtres ouvertes sur le monde pour le rendre un peu plus intelligible. Un texte de Paul Ricœur9 les passe en revue pour montrer la belle responsabilité de la parole enseignante : « Je peux parcourir le vaste champ des matières enseignées : chacune d’elles s’est suscitée une manière de parler qui l’articule en elle-même, l’exprime pour moi-même et l’annonce pour un autre », et il met en valeur une note propre à chaque type d’enseignement. L’enseignant, quelle que soit son approche, cherche toujours à développer chez ses élèves la faculté de l’autre.

Pour Emmanuel Mounier, éminent promoteur du personnalisme et ami de Maritain, on ne peut pas définir la personne parce que « la personne n’est pas un objet. Elle est même ce qui dans chaque homme ne peut être traité comme un objet.» On comprend alors pourquoi toute tentative d’objectivation de la personne humaine ne peut aboutir qu’à une perception fragmentée qui ne fait droit ni à la complexité, ni à l’organicité et donc pas non plus à la dignité de la personne. Pour Mounier, la personne est « une activité vécue d’autocréation, de communication et d’adhésion, qui se saisit et se connaît dans son acte, comme mouvement de personnalisation». D’où le paradoxe de l’existence humaine : « elle est le mode le plus proprement humain de l’existence. Et cependant elle doit incessamment être conquise. » Au final, elle se déroule dans « l’effort de l’humain pour humaniser l’humanité

Pour Maritain, l’éducation ne peut pas se contenter d’être constituée d’une somme de moyens et les progrès de l’éducation ne dépendent pas seulement des progrès des méthodes pédagogiques. L’éducation suppose plus fondamentalement une anthropologie qui donne à l’éducation sa visée unificatrice, sous la forme d’une éducation intégrale qui permet la redécouverte de « l’intégrité de l’homme » et permettra l’avènement d’une « civilisation personnaliste et communautaire.

En révélant à la personne humaine qu’elle s’accomplit dans la charité, le christianisme appelle chacun à une « surexistence spirituelle propre à la connaissance et à l’amour» qui non seulement donne à la personne son absolue et inaliénable dignité mais désigne le principe de sa suréminente unité, au-delà de toute fragmentation.

La démarche enseignante est toujours une proposition faite à des libertés de s’intéresser à autre chose que soi-même, de s’ouvrir à d’autres pensées, d’autres approches du réel, d’autres raisonnements, d’autres cultures…