Lémission « Poésie ininterrompue », par Claude Royet Journoud, diffusée le 19 juin 1977. Entretien avec Jean Laude.
Si la mer S’éternisait dans l’instant…
Si la mer cessant son va-et-vient
S’éternisait dans l’instant…
Par un après-midi de décembre
D’un coup de baguette ôtée
– Magie – d’entre les choses de la vie
Avec écume, vagues, balancement,
Faite vue ou vision, paysage
Au mur cadré à notre usage – un Corot
Sous ciel d’hiver transmissible
Par héritage, à jamais un tableau
Nous de partenaires familiers devenus
Spectateurs, au lieu de jouer avec elle
– Ses festonnements, fêtes, allées venues,
Mis à distance, observant, l’observant
Infidèle à sa danse immense,
Fuyant l’influx de l’astre lunaire,
Ses marées ramenées à zéro…
Où prendre appui ?
Où prendre appui ?
Les bras se dérobent
Amours, amitié, fidélité jurée
Restent l’épaule du vent
La pente du talus
L’herbe, l’herbe somnolente
La pluie
L’oubli
Et l’attente incorrigible
attente
D’un miraculeux
Retour de possible
Réflexions d'angle
Cent mille ailes battant
Cent mille âmes
Cent mille et mille angles folâtres
comme vents mutins, lutins vif-argent
Les hirondelles au ciel, leurs jeux de foule,
leurs trajectoires croisées, fêtes pour les yeux
Cent mille poulains grêles nouveau-nés
des vagues, leur écume,
leur pourchas – mot rare – et jamais atteint
le but poursuivi,
leur échouage léger, leur avance
sur la plage acculant l'humain
au creux des rochers, des falaises
malaisées, d'antres anfractueux
Au dos des années la mémoire à rebours
télescopes images, mirages d'un jour
Pages, pages tournées en arrière :
le Clos des mûriers à l'étape
oubliée, son parc souvenir de tempête
et d'Hamlet
Façade intacte Synchronie des alentours
et du regard intérieur.
Réflexions d'angle
La joie matinale, sa clarté
lavée de frais
court sur l'ardoise des toits,
ricoche sur des façades brique et blanc,
gagne les esprits chagrins
Capter, saisir – garder pour en jouir
s'en réjouir à nouveau
comme on caresse un souvenir tiré des armoires
de la mémoire
aux sachets d'heureux temps odorants
‒ ce pur don sans donateur de lumière
matutinale,
lignes et formes, figures : espace
départagé,
immensités à qui sait s'en illuminer
‒ d'air, de ciel, d'eau et d'ocre clair
Mer métalllique puissance en mouvement
d'un seul tenant, massive et plate
apparence omineuse
Des gréements de bateaux gracieux
dans la bruime au loin – ou l'ombre tantôt ‒
s'y déplacent linéaires
touches humaines Saisir, fixer, pérenniser
Mais les yeux, les regards faiblissent, les témoins
meurent Les consciences changent de cœur,
de corps.
Réflexions d'angle
Le sentiment ? nié ni honni,
bien vivant : maternel, amical
‒ même amoureux, ressassé, rené
de l'oubli, des lectures.
Proliférante innervation installant
ses résurgences dans lymphe et sang,
artérioles jusqu'au bout des ongles.
Le sentiment vécu, roi des temps révolus,
qui s'en souvient parmi les gens ?
Témoins
inhumés le mêlent aux cinéraires,
aux herbes, aux os soupçonnés, aux vers
inhumains.
Les pluies arrosent, Apollinaire,
ses amours, ses ancolies
et les platanes à l'automne
le couvrent de feuilles, belles rousses,
les marronniers, du Père-Lachaise.
Ce rideau de sable …
Ce rideau de sable qui tombe à longs traits
accumule des aunes de surface.
Dans un froissement d'ailes, d'insectes brisés
le monde dispose des plis.
Sous le déroulement lourd d'étoffe
les villes peu à peu se masquent,
les hommes s'affublent, ne sachant que faire
d'un tel excès de vêtement.