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Citation de wentworth23


Nous manœuvrons entre l’étrange et le familier. Nous apprivoisons – et nous ensauvageons les choses. Le chemin du retour n’est jamais le même qu’à l’aller, d’ailleurs il nous paraît plus rapide. (C’est comme la lecture : on ne lit jamais chaque mot du texte, sauf s’il s’agit d’une langue qu’on ne maîtrise pas complètement.) Reconnaître prend du temps. Parler toute la journée une langue étrangère est aussi fatigant que charrier des pierres. Le bilingue est celui qui s’est approprié deux mondes, qui a deux langues également siennes. Mais il peut à chaque instant dire, à propos de l’une des deux : « l’autre langue ». Telle chose évidente ici ne l’est plus là-bas – il suffit de passer le seuil. Ce qui n’a pas besoin d’explication ici en a besoin là-bas. Et vice-versa. Le bilingue n’est jamais dans de l’entièrement reconnaissable. Vue de « là-bas », ma chambre est étrange. C’est peut-être pour cela que je n’arrive pas à y mettre de l’ordre. Que je parviens à créer du désordre en cinq minutes, même dans une chambre d’hôtel à peu près vide. Jamais se contenter d’un sens commun, toujours décrypter, c’est le lot du bilingue. On m’a dit que j’avais une écriture « myope » : en effet, il me faut sans cesse plisser les yeux, sans cesse déplisser le réel. Revenir, m’arrêter devant, examiner – aucune image n’est jamais donnée d’emblée. C’est comme si la mémoire collective dont sont lestées nos sensations me faisait défaut. Non pas « renommer le monde », mission du poète selon Tsvetaeva, mais désensabler le regard – mission de l’enfant.
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