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Citation de enkidu_


Le discours de libération a constitué, dès sa formation, l'une des composantes essentielles de l'esprit du capitalisme(1). Mais, tandis qu'à l'origine, la forme de libération proposée par le capitalisme prend sens essentiellement par référence à l'opposition entre les « sociétés traditionnelles », définies comme oppressives, et les « sociétés modernes » seules susceptibles de rendre possible une autoréalisation individuelle - opposition qui est elle-même une production idéologique constitutive de la modernité -, l'esprit du capitalisme a été amené, dans ses formulations ultérieures, à offrir une perspective de libération susceptible d'intégrer aussi les critiques dénonçant l'oppression capitaliste, c'est-à-dire la non-réalisation, dans les faits, des promesses de libération sous le régime du capital. C'est dire que l'esprit du capitalisme, dans sa deuxième expression et dans les formes qu'il est en train d'adopter de nos jours, poursuit, sous ce rapport, deux lignes différentes. La première prend toujours pour cible le « traditionalisme » crédité du pouvoir de menacer d'un retour virulent les sociétés occidentales modernes et dénoncé comme une réalité en actes dans les pays du tiers monde. La seconde, en réponse, au moins implicitement, aux critiques de l'oppression capitaliste elle-même, comporte une offre présentée comme libératoire par rapport aux réalisations antérieures du capitalisme. L'esprit du capitalisme, dans la seconde moitié du xxe siècle, se donne par-là à la fois comme un moyen d'accéder à l'autoréalisation par le truchement de l'engagement dans le capitalisme et comme une voie de libération par rapport au capitalisme lui-même dans ce qu'il a pu avoir d'oppressif dans ses réalisations antérieures.

La dynamique de l'esprit du capitalisme semble ainsi reposer sur des « boucles de récupération » que nous avons déjà rencontrées à propos de la question de la justice. Nous pouvons en identifier également pour ce qui est de la libération, c'est-à-dire, dans une large mesure, par rapport à ce qui confère à l'engagement dans le processus capitaliste son caractère « excitant » : le capitalisme attire à lui des acteurs, qui réalisent avoir été jusque-là opprimés, en leur offrant une certaine forme de libération, laquelle dissirnule de nouveaux types d'oppression ; on peut dire alors que le le capitalisme « récupère », par la mise en œuvre de nouvelles modalités de contrôle, l'autonomie consentie ; mais ces nouvelles formes d'oppression se dévoilent progressivement et deviennent la cible de la critique, si bien que le capitalisme est amené à transformer ses modes de fonctionnement pour offrir une libération redéfinie sous les coups du travail critique. Mais la « libération » ainsi obtenue recèle à son tour de nouveaux dispositifs oppressifs qui permettent, dans le cadre du capitalisme, une remise sous contrôle du processus d'accumulation.

(1) C'est parce qu'il bouleverse sans arrêt les conditions de la production que le capitalisme doit faire place à l'idée de libération. On se reportera ici au livre de M. Berman (1982) et au célèbre passage du Manifeste communiste dont il constitue une sorte de vaste commentaire : « Ce bouleversement continuel de la production, ce constant ébranlement de tout le système social, cette agitation et cette insécurité perpétuelles distinguent l'époque bourgeoise de toutes les précédentes. Tous les rapports sociaux, traditionnels et figés, avec leur cortège de conceptions et d'idées antiques et vénérables, se dissolvent; ceux qui les remplacent vieillissent avant d'avoir pu s'ossifier. Tout ce qui avait solidité et permanence s'en va en fumée, tout ce qui était sacré est profané, et les hommes sont forcés enfin d'envisager leurs conditions d'existence et leurs rapports réciproques avec des yeux désabusés • (Marx, Engels, 1966, pp. 34-35). (pp. 564-565)
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