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Citation de AuroraeLibri


Le sens de deux paraboles fondamentales du point de vue laic : celle du bon Samaritain, celle du Jugement dernier.

La parabole du bon Samaritain (Luc, 10, 25-37) requiert, pour être comprise dans toute son ampleur, que l'on ait à l'esprit ce que représentaient les Samaritains aux yeux des Juifs de l'époque du Christ : la lie de l'humanité, pire que les Roms d'aujourd'hui aux yeux d'un petit Blanc d'extrême droite. Traiter quelqu'un de "Samiratian", c'était le comparer à Satan ou peu s'en faut, comme en témoigne l'insulte faite à Jésus par les Juifs orthodoxes en Jean , 8. 48 ("Les Juifs lui répondirent: N'avons-nous pas raison de dire que tu es un Samaritain, et que tu as un démon?"). C'est avec ce regard qu'il convient d'apprécier l'esprit d'ouverture, inimaginable en ce temps-là qui parcourt ce texte. A un légiste qui lui demande qui est son "prochain", Jésus répond par cette parabole dont je résume la substance : un homme qui descendaient de Jérusalem à Jéricho est attaqué par une bande de brigands qui le rouent de coups et le laissent pour mort après l'avoir dévalisé. Un prêtre qui passe par là détourne le regard et poursuit son chemin. Un lévite fait de même, mais un Samaritain qui suit la même route voit le blessé, se penche sur lui, le soigne, le conduit dans une hôtellerie, donne de l'argent à l'hôtelier pour qu'il prenne soin du malheureux. A ton avis, demande Jésus au légiste, "qui est le prochain de l'homme tombé aux mains des brigands", et le légiste, embarrassé, est bien forcé de convenir que le prochain, c'est évidemment le Samaritain, celui qu'on croyait le plus lointain.
La leçon de la parabole est claire, on parlerait aujourd'hui pour la résumer au mieux d' "universalisme abstrait": l'amour du prochain n'est pas réservé aux seuls membres de la communauté, il s'étend aux goys, aux Gentils, c'est-à-dire potentiellement à l'humanité tout entière, à tous ceux que nous pouvons aider sur notre chemin de vie. A cet égard, l'universalisme républicain, jusques et y compris dans sa composante laique et anticommunautariste, est un héritage direct du christianisme. C'est là notamment ce qu'avait parfaitement vu Tocqueville, dans De la démocratie en Amérique. Tocqueville condamne avec la plus grande fermeté la manière dont les Européens se sont conduits avec les populations indiennes ou d'origine africaine. "Le succès de Cherokees, écrit-il, prouve que les Indiens ont la faculté de se civiliser", et il s'oppose absolument à l'esclavage :

"Le christianisme est une religion d'hommes libres. Dans l'idée chrétienne, tous les hommes naissent libre et égaux", en quoi la Déclaration des droits de l'homme, charte de notre républicanisme, lui apparaît à juste titre comme une sécularisation de l'idée d'égalité chrétienne telle qu'elle s'exprime à travers les grandes paraboles de Jésus, et notamment celle du bon Samaritain : "C'est nous, les Européens, écrit Tocqueville, qui avons donné un sens déterminé et pratique à cette idée chrétienne que tous les hommes naissent égaux et qui l'avons appliquée aux faits de ce monde. C'est nous qui, en détruisant dans tout le monde le principe des castes, des classes, en retrouvant, comme on l'a dit, les titres du genre humain qui étaient perdus, c'est nous qui, en répandant dans tout l'univers la notion de l'égalité des hommes devant la loi, comme le christianisme avait crée l'idée de l'égalité de tous les hommes devant Dieu, je dis que c'est nous qui sommes les véritables auteurs de l'abolition de l'esclavage."

Belle méditation, qui établit, avec beaucoup de finesse, une filiation entre l'idée républicaine et l'héritage chrétien : l'égalité devant Dieu, transposé en égalité devant la loi, n'est au fond qu'une sécularisation réussie de la parabole du bon Samaritain : comme elle, elle ouvre la notion du prochain à un universalisme abstrait en ce sens qu'il fait, en effet, abstraction de touts les appartenances communautaires pour étendre en principe l'idée de fraternité à l'humanité tout entière.


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