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Citation de Erik35


Erik35
04 décembre 2023
Depuis longtemps cependant nous taraude le doute de notre propre existence. Nous sommes morts et nous errons, nous cherchons la délivrance et ne la trouvons pas. Comment ignorer qu'à force de ne pas voir, littéralement, que nous avons fait et faisons allégeance à l'ordre qui nous alimente et nous donne une place, nous oublions le prix à payer lorsque l'on vit la conscience divisée ? Il y a l'île, de l'autre côté, la zone sacrificiée, celle qui accueille, celle qui traite, celle qui crève sous les émissions toxiques, celle où le cancer s'attrape comme la grippe. Et ici il y a nous, nos gestes qui sauvent, notre amabilité, nos loisirs intelligents et, bien souvent, notre inquiétude. Il y a nous, et c'est nous qui sommes séparés. Il y a nous, et nous vivons aussi, dans une enclave : dans un semblant de monde, dans des villes souillées de sang, de cendres, des villes qui puent la mort sous leurs pelouses artificielles, leurs espaces végétalisés, qui puent la destruction et la souffrance, le double langage et l'aveuglement.
À quoi servent, pourtant, ces gestes appliqués - jeter nos détritus, bien trier nos déchets -, ces petites cérémonies quotidiennes d'enfants obéissants qui ne veulent pas se faire gronder ? Faisons-nous réellement notre part du travail en nous contentant de laisser un espace vert dans l'état exact où nous l'avons trouvé ?
Car enfin, il n'y a nul héroïsme à trier correctement, et celui qui oublie son sac en plastique dans une aire de pique-nique ne détruit pas la planète, n'abîme pas la nature. Il empêche simplement tous les autres de croire qu'ils vivent dans un monde où le déchet serait maîtrisé, où la consommation de masse ne serait pas un problème. Sa négligence ne nuit pas à cette « nature » substantialisée qui a, depuis bien longtemps, cessé d'être. Elle égratigne seulement l'image que nous aimons entretenir de nous-mêmes, citoyens respectueux de leur environnement, qui voulons garder à tout prix les mains propres, laissant à d'autres acteurs, clairement identifiés sous le nom de « multinationales », le soin de saigner la terre et de semer la guerre pour garantir la satisfaction de nos besoins fondamentaux. Il faudra, pour finir, que se déchire le discours public injonctif, qui ne sert qu'à faciliter le processus économique de recyclage et le management commercial des déchets ménagers. Apparaissent alors les 98.5% de déchets restants, cette masse incommensurable et toxique produite par nos industries, mais aussi la pollution invisible qui contamine jusqu'à nos propres organismes. Bref, on parvient à envisager ces questions à travers un autre prisme que celui de la responsabilité individuelle et des ordures ménagères, on entrevoit l'ampleur du problème et la logique qui prévaut, de l'extraction des matières premières aux flux des déchets externalisés.
Un voile peut se déchirer, puis un autre, puis encore un autre. Les voiles qui se déchirent ne réparent rien, ne restituent pas à l'espace clivé sa continuité. Les voiles qui se déchirent n'apportent aucune satisfaction, et la plus absurde serait de croire que l'on a atteint quelque chose. La mort continue de rôder en nous, autour de nous. Le faux sourire continue de régner sur la face béate de notre monde creux. L'hémorragie ne s'atténue pas d'une goutte, simplement, désormais, nous savons : nous avons, nous aussi, les mains sales. Et la tache n'est pas près de partir.
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