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Critiques de Luke Howard (1)
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Talk Dirty to Me

Il s'agit d'une histoire complète et indépendante de toute autre. Ce tome est initialement paru en 2016, écrit, dessiné et encré par Luke Howard. Il a ajouté des teintes roses ou grises sur certaines parties des dessins, en fonction des séquences et de ce qui s'y déroule.



Emma Barns vient juste d'emménager dans une grande ville, pour accompagner son mari qui y a décroché un emploi. Ils louent un petit appartement non meublé. Ils couchent sur un matelas pneumatique les premières nuits. Son mari part travailler chaque matin. Le premier matin, il lui dépose à côté du lit un petit déjeuner acheté au magasin du coin. Il lui dit qu'elle n'a pas à se presser pour trouver elle-même un boulot, qu'elle peut prendre son temps pour dénicher quelque chose qui lui convient. Emma le prend au mot et passe quelques journées tranquilles dans l'appartement. Puis elle se demande en quoi elle est bonne, quel genre de compétences elle a acquises pendant ses années de vie. C'est en marchant sur le trottoir qu'elle remarque un prospectus par terre, une petite annonce pour un boulot de téléopératrice de téléphone rose. Emma appréciant de se masturber depuis plusieurs années, elle se dit qu'elle devrait essayer.



Elle se présente à l'adresse indiquée sur la petite annonce, et se retrouve face à un monsieur de 40 ou 50 ans des plus normaux, qui la met à l'aise en lui disant que personne dans l'entreprise n'avait rêvé d'exercer ce métier, que ce n'est pas une vocation. Après un essai concluant, Emma Barns est embauchée et peut commencer séance tenante. Elle n'informe pas son mari du genre de travail qu'elle a trouvé. Elle repense à ses premiers émois, à sa première fois avec un garçon. Il imagine comment elle valorisera l'expérience professionnelle qu'elle est en train d'acquérir, et elle répond à sa première conversation professionnelle.



Il s'agit d'un récit qui sort de la production ordinaire et industrielle des comics, en tous points. Pour commencer le format est plus petit, la moitié de celui d'un comics traditionnel. Ensuite il a été prépublié dans une anthologie des plus confidentielle appelé Maple Key Comics. Les différentes parties ont été regroupées et à nouveau publiées par un éditeur des plus confidentiel appelé AdHouse. Toujours dans le registre des originalités, il est écrit et dessiné par un homme qui met en scène une femme, ce qui n'est pas très courant. Son titre indique que l'objet du récit est de nature sexuel, et évoque une profession qui fait rarement l'objet de récit de fiction, opératrice de téléphone rose. Enfin l'approche graphique est des plus affirmée, et la structure narrative s'avère surprenante.



La couverture fait preuve d'originalité et de concision. En représentant de manière schématique une petite culotte et un soutien-gorge guère affriolants, l'artiste indique clairement le sujet sexuel de l'ouvrage, sans réduire la femme à un objet car elle n'est pas représentée. Il a choisi une couleur rose bonbon déjà sucé d'un très mauvais goût, associant une couleur de l'enfance évoquant les petites filles, à une activité sexuée et réprouvée par la morale. En feuilletant rapidement le tome, le lecteur se rend compte que cette couleur rose est présente tout au long de l'ouvrage, contrastant avec le fond blanc des pages (encore plus apparent du fait de l'absence de bordure de case), et avec le ton gris utilisé pour les souvenirs et les ombrages. Le tout aboutit à une apparence peu séduisante, mais assez travaillée du fait l'utilisation de cette forme de bichromie qui est un parti pris chromatique affirmé.



Ensuite le lecteur découvre la forme des dessins. Luke Howard s'inscrit dans une approche descriptive, plutôt qu'expressionniste. Il représente les personnages comme il les voit, et les décors de manière plutôt schématique. Les personnages n'ont rien de joli. Ils donnent l'impression d'être un peu empâtés, à l'opposé de culturistes, des gens qui ne prêtent pas attention à leur silhouette. Ils portent des tenues vestimentaires passe-partout qui ne mettent pas leur silhouette en valeur. Les traits de contour des visages sont vaguement irréguliers, vaguement tremblés, presque comme s'ils avaient été tracés par un dessinateur amateur pas très sûr de lui. Tous les personnages ont des petits nez cylindriques en forme de phalange, évoquant celui de Tintin en un peu plus long, très disgracieux. Les cheveux forment une masse informe sur le crâne, comme s'ils avaient été rassemblés en tas, sans avoir été peignés. Les femmes ne sont pas séduisantes, donnant l'impression d'individus pas très futés, un peu paumés avec de larges hanches. Les hommes ne sont pas mieux lotis, avec des regards bovins, accomplissant des gestes de routine, comme des moutons.



Luke Howard se tient à l'écart des représentations sexuelles et de la nudité de ses personnages. Il réalise un dessin de femme nue sublimée qui ne correspond pas à une protagoniste, mais à une sorte de fantasme, et une jeune fille nue à la façon d'un maga érotique, mais à nouveau avec cette apparence amateur qui insiste sur la dimension artificielle de la représentation. Celan n'empêche en rien les dessins de raconter l'histoire de manière claire et intelligible. À plusieurs reprises, malgré l'ingénuité des représentations, le lecteur se rend compte qu'une suite de case transmet une impression juste d'un phénomène complexe. Par exemple, lors de son entretien d'embauche, le responsable de l'entreprise propose à Emma Barns de se livrer à un jeu de rôle dans lequel il fait le client, et elle doit faire comme si elle répondait en tant qu'opératrice. Il décide de la mettre en difficulté, sous la forme d'un client qui se met à prendre son interlocutrice de haut, comme une simple employée au sex-appeal inexistant. Le lecteur voit alors une étincelle de fierté se rallumer chez Emma qui retourne la situation à son avantage, prenant de court son chef.



L'aspect visuel n'a donc rien de séduisant, déjouant ainsi toute accusation potentielle de racolage ou de dégradation de l'image de la femme. Le déroulé du récit est tout aussi déroutant que la partie graphique. La couverture, la scène d'ouverture et la quatrième de couverture annoncent clairement qu'il s'agit de l'histoire d'une femme qui exerce le métier de téléopératrice de téléphone rose. Effectivement, l'auteur montre son entretien d'embauche, fait visiter les locaux de la plateforme d'appel, et il consacre 22 pages au premier appel professionnel auquel Emma répond. De ce point de vue, le récit tient bien ces promesses. Mais l'auteur intercale d'autres scènes ayant trait à la personnalité et à l'histoire personnelle d'Emma Barns. Il y a donc son expérience de la masturbation, son premier rapport sexuel et ses questions sur sa carrière professionnelle.



En tant qu'auteur masculin, il est assez risqué de se projeter dans la vie sexuelle d'une femme, sans être accusé de machisme, de dégradation ou de tout autre forme de sexisme, juste parce qu'on n'est pas une femme (alors que si les mêmes scènes étaient écrites par une femme, elles seraient légitimes). L'auteur désamorce la majeure partie des critiques en ne représentant jamais Emma nue. Ensuite, il dresse son portrait comme celui d'une femme appréciant le plaisir physique, sans en être dépendante. Il consacre 2 pages à lister 25 objets avec lesquels elle s'est masturbée au cours d'une dizaine d'années. Le lecteur comprend qu'il a besoin d'établir clairement le goût de son personnage pour ce plaisir solitaire, mais il ne fait que dessiner les objets, sans la représenter en train de s'en servir. Ce passage lui permet également d'établir qu'Emma Barns n'est ni prude, ni farouche et qu'elle est capable de mener une conversation de nature sexuelle, sans que cela ne soit une souffrance morale ou psychologique, sans ressentir une forme de culpabilité.



Le lecteur comprend également que l'auteur inclut un passage sur la façon dont Emma a été amené à réaliser sa première fellation pour développer sa façon d'envisager la sexualité. À nouveau, le passage est des plus prosaïque et des moins visuels. Il permet de montrer l'état d'esprit dépourvu d'inhibition d'Emma vis-à-vis des rapports sexuels, à nouveau sans qu'elle ne les recherche ou les provoque activement. Le lecteur est beaucoup plus déstabilisé par un passage de 12 pages au cours duquel il assiste à la rêverie d'Emma Barns sur la projection de sa réussite professionnelle dans ce métier de téléopératrice, et la reconnaissance médiatique qui en découle. Dans un premier temps, il se dit qu'il s'agit d'un détour pour gagner du temps et augmenter la pagination de l'ouvrage. Ensuite, il suppose qu'il s'agit pour l'auteur de rendre explicite l'état d'esprit d'Emma Barns et sa forme de naïveté quant à une forme d'ascension sociale par le biais de son métier, une déclinaison de la réussite à l'américaine. En fait, cette séquence ne prend son sens qu'à l'aune de la fin du récit, de manière incidente.



Effectivement, cette histoire sort des sentiers battus de toutes les manières possibles : dessins, construction du récit, thème, conclusion. Le lecteur titillé par l'idée d'une position de voyeur pour cette professionnelle du sexe en sera pour ses frais sur tous les plans narratifs. Le lecteur espérant une chronique intimiste sera comblé et un peu dérouté par la narration et la conclusion, finalement très tranchée et même morale à sa façon. 4 étoiles pour un récit un peu pataud, mais assurément très original.
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