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Critiques de Madeleine Leveau-Fer (1)
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Eugène Dieudonne

Voici l'histoire de la vie fourvoyée et tragique d'un tout jeune ouvrier ébéniste « monté » de Nancy à Paris avec sa femme Louise et leur petit François encore à la mamelle, tous deux passionnés de politique.

Eugène Dieudonné n'a pas eu le temps de passer son certificat d'études car son père, charpentier, s'est tué en tombant d'un toit. A Paris, il rêve de rencontrer les exaltés, ceux qui prônent la révolution, la guerre sociale, pour que les plus pauvres obtiennent enfin quelque chose, cessent d'obéir.

Avec Louise, il participe régulièrement aux causeries libertaires qui ont lieu chaque lundi dans le local du journal l'anarchie (sans l'ni A majuscule, car il n'y a pas de raison qu'une lettre soit plus haute que les autres !), où il débarque dès le lendemain de son arrivée à Paris. Il veut s'informer, participe à des meetings, bientôt à des grèves, sans toutefois se faire repérer par la police. Louise partage ses idées.

Eugène, Louise et leurs camarades parlent le langage des faubourgs et de la zone, tout en élisions et riche de termes d'argot imagés. Dans le maquis des idées libertaires et anarchistes, les clivages entre les illégalistes adeptes de la « reprise individuelle » - c'est-à-dire le vol – et les anti-illégalistes, entre anarchistes révolutionnaires et syndicalistes, on a bien du mal à se retrouver. La Presse s'intéresse de près à une nouvelle forme de délinquance : les apaches.

Mais ces histoires n'intéressent pas les anarchistes. Cependant l'amalgame avec eux les irrite. Les thèses s'affrontent, irréconciliables : « Cette honnêteté dont les bourgeois se revendiquent, je la sais mensongère, violant les pires turpitudes, permettant, honorant même le vol, la duperie, quand ils sont commis à l'ombre des codes. » écrit Victor Serge, dit le Rétif dans l'anarchie du 4 janvier 1912.

Les anarchistes commettent des attentats spectaculaires … tout en cherchant à se justifier au nom de la morale du partage. Certains décident de vivre en phalanstère, pratiquent le sport, l'amour libre, deviennent végétaliens … mais il faut bien faire vivre ces communautés : l'anarchie devint l'alibi de cambriolages d'une violence de plus en plus dangereuse. Encore que les anarchistes se méfient des femmes, considérées comme autant d'obstacles à la fortitude de leurs compagnons, parce que trop attachées à la religion.

Eugène Dieudonné baigne dans cette ambiance où chacun se sait surveillé, fiché, recherché par la police. Entre anarchistes existe cependant un code d'honneur immuable : quand un compagnon demande l'asile, on l'héberge sans rien lui demander, surtout pas son identité. On garde ses affaires jusqu'à ce qu'il revienne les chercher … Il les connait tous : Libertad, Victor Kilbatchiche, Henriette Maitrejean, Raymond Caillemin, André Lurulot, André Soudy, René Valet, Octave Garnier, Edouard Carouy, Elie Monier …

Tous vont un jour hélas croiser la route de Jules Bonnot qui débarque de Lyon avec une idée diabolique : l'attaque à main armée avec fuite en automobile. La première opération prend pour cible un convoyeur de fonds de l'agence Société Générale de la rue Ordener … Bonnot est un bandit tragique qui se réclame ouvertement de l'anarchie. Tout s'emballe.

Au-delà de cette dramatique histoire de jeunes manipulés selon des concepts mal assimilés (ce sont les livres de Bakounine, Proudhon, Kropotkine, Grave, Reclus, Malatesta que Dieudonné a serré dans sa valise en venant à Paris), on retrouve dans le Paris de la Belle Epoque les réflexes horrifiés de la population devant les exactions de plus en plus violentes de ceux qui se déclarent adeptes de l'anarchie comme d'une nouvelle religion. L'opinion publique se révolte : « Que va-t-on faire pour protéger les honnêtes gens ? », « Abattons-les comme des chiens enragés ! ». La police, elle, s'équipe : on surveille, on fiche, on analyse les traces dactylaires, on remonte les filières. Surtout depuis l'assassinat de Louis Jouin, le sous-chef de la Sûreté, venu arrêter, sans arme, Jules Bonnot. Une ambiance explosive que nous connaissons aujourd'hui dans le cadre de l'Etat d'urgence …

Dieudonné n'a pas participé à l'attaque de la rue Ordener car il fêtait Noël à Nancy avec sa mère, mais certains ont cru le reconnaître dans la voiture. Il a été formellement innocenté par plusieurs membres de la bande et par Jules Bonnot lui-même dans une sorte de testament écrit avec son sang juste avant d'être abattu par la police, et en dernier ressort, lors du procès par Edouard Carouy et Raymond-la-science. Condamné à mort, il sera gracié par le Président de la République, sa peine étant commuée en travaux forcés à perpétué au bagne de Cayenne. Mais cela est une autre histoire.

Une biographie romancée, qui se lit comme un polar, parfaitement documentée : l'histoire des obscurs, des travailleurs sans pouvoir, du peuple des pierreuses et des crocheteurs vivant au contact de fortunes mirifiques …

Une révolte qui couve sous la cendre mais que la grande tuerie de 1914 va étouffer pour longtemps.

Vivement la suite des aventures d'Eugène Dieudonné !
Lien : http://www.bigmammy.fr/archi..
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