Comme on a pu le constater lors du confinement sanitaire, ce sont les salariés séniors qui ont su, mieux que les autres, faire face aux nombreux dérèglements organisationnels provoqués par le travail à distance. Ils ont ainsi réinventé, développé et ajusté leurs pratiques à ces nouvelles formes de travail grâce à leur connaissance "intime" de l'entreprise , aux astuces et règles du métier et au soutien d'un collectif élargi et solide.
Il ne s'agit pas seulement de produire des connaissances sur le travail, mais d'inciter les personnes à parler d'elles-mêmes et de leur rapport à la technologie et à l'activité. Le but est de décentrer sa perspective pour s'observer soi-même et ainsi pouvoir mettre en dialogue ses façons de faire avec ses collègues. Ces espaces d'échanges favorisent la confrontation de pratiques communes mais aussi de fonctionnements différents et contribuent ainsi à l'enrichissement de sa propre expérience.
Les récits prospectifs associés à ces transformations digitales (comme on peut d’ailleurs l’entendre déjà sur l’usine du futur) insistent le plus souvent sur le versant de la rupture et de la modernisation. Ils flirtent parfois avec des prophéties plus ou moins sombres ou au contraire radieuses (fin de l’emploi salarié ou du travail permanent, création de nouveaux métiers, collaborations humain-robot renforcées, créativité et innovation démocratisées, humain augmenté, qualité de vie retrouvée, etc.), en oubliant d’évoquer le fait que ces transformations ne peuvent se faire sans l’appui et l’engagement d’un levier décisif ; celui de l’humain.
Il n' y a pas seulement ce que l'on fait avec la technologie qui compte, il y a aussi ce que l'on devient par son usage : la manière dont on se construit, dont on se transforme, favorablement ou défavorablement, au contact de ces dispositifs, qui vont exiger ou permettre d'autres façons de faire, de penser, d'organiser ou encore de collaborer dans le travail.
Il est par ailleurs nécessaire de distinguer les « transformations digitales » des « transitions digitales ». Les premières relèvent de changements profonds induisant des remises en cause, voire des ruptures à tous les niveaux de l’organisation ainsi que sur les pratiques de travail. Les secondes renvoient à des innovations plus progressives, menées de façon itérative.
L’arrivée d’une nouvelle technologie peut être le moyen, le prétexte à faire émerger un espace collectif et délibératif sur le travail qui se fait afin de penser et coconcevoir le travail qui pourrait mieux se faire (ainsi que les outils et le projet de transformations digitales plus généralement).
En somme, la digitalisation implique paradoxalement une main-d'œuvre humaine, à bas niveaux de qualification, pour faire fonctionner ces environnements technologiques très perfectionnés.
L'approche en clinique des usages s'ancre dans le vécu subjectif et dans les pratiques effectives et collectives des usagers.