Une retraite à Lisbonne ? Luísa Semedo nous invite à regarder Lisbonne autrement, en découvrant et en prenant conscience de son passé arabo-musulman, notamment grâce au livre de Marc Terrisse "Lisbonne dans la ville musulmane" de Marc Terrisse.
Lisbonne s'éveille. J'admire un ciel biffé de teintes rosées bleues claires et orangées. La lumière se reflète sur les façades baroques des églises, les murs des palais et des maisons blanches érigés sur les collines de la ville tandis que le Tage s'orne de tons dorés.
Avant d'arriver à Belém, il convient de batailler ferme pour trouver une petite place à l'intérieur du tramway souvent bondé. L'itinéraire parcouru mérite cet effort. J'admire le paysage de clair-obscur que dessinent les rayons du soleil à travers les nuages. Ce spectacle baroque oscille entre une lumière aveuglante et l'austérité des ténèbres qui donne à la ville une double facette.
Musarder dans cette ville est un régal pour tous les amoureux d'architecture, de culture et d'atmosphère aux accents singuliers.
Les larmes traînent sur les visages fermés des musiciens, leurs mentons trémulent, des gémissements fendent le silence assourdissant. La tête ivoirine aux boucles d'or du jeune Daniel repose les yeux fermés, engourdie par le trépas. La foule des alentours de tait. La fête est finie. Carnaval s'en est allé en même temps que le petit prince de la musique adulé par tout un peuple.
Les poètes du Gharb Al Andalus ont vraisemblablement inspiré les troubadours s’exprimant en galaïco-portugais. Plus globalement, la poésie hispano-arabe a eu une influence sur les aèdes catalans et occitans. Le « fin amor » ou amour courtois a été probablement inspiré par Ibn Hazm, poète fidèle aux Omeyyades, né dans l’actuelle province de Niebba en Andalousie et non loin de la frontière avec le Portugal.
Les Phéniciens nomment Lisbonne Alis Ubbo qui signifie la « rade tranquille ». Les Grecs et les Romains attribuent par la suite à la ville le nom d’Olisipo. A ce jour, les chercheurs ne sont néanmoins pas certains que les deux appellations aient la même signification. Le Tage aurait été, quant à lui désigné par le nom de Dagui qui se traduit par « pêche abondante » dans l’idiome parlé par les Tyriens.
Malgré certaines limites inhérentes aux mentalités de l’époque, le maintien de communautés religieuses musulmanes et juives atteste de la persistance d’un multi-confessionnalisme dans les royaumes médiévaux ibériques après la Reconquista. L’islam ne s’est par conséquent pas arrêté avec la conquête chrétienne. Il se maintient officiellement jusqu’en 1496-1497 au Portugal avec l’édit d’expulsion des juifs et musulmans, promulgué par le roi Manuel 1er suivi d’un processus de conversion forcée à la foi catholique.
Il n'avait aucune branche à laquelle s'agripper pour escalader l'arbre de l'existence
Estevanico n'est d'aucune paroisse, d'aucune nation et bien que l'imaginaire afro-américain ou le roman national marocain tentent de se l'approprier, son histoire plaide en faveur d'une complexité des appartenances. Estevanico, homme de trois civilisations, de trois mondes interconnectés, fruit d'un syncrétisme qu'il réalise dans la difficulté, brille par sa résilience. Sa multiplicité et son caméléonisme rappellent la condition des membres des diasporas, allusion d'une cruelle actualité. Son adaptabilité à toute épreuve se joue des épreuves les plus terribles.
C'est à Sanlucar de Barrameda que l'agent de police historique pose ses valises. La belle andalouse étale ses palais, ses couvents, sa forteresse de Santiago qui s'alignent telle une haie d'honneur accompagnant le cours du Guadalquivir. Celui-ci s'oublie dans l'océan imitant la Mer de Paille lisboète. C'est ici qu'Estevanico quitta l'Europe pour la Nouvelle Espagne.