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Citation de Dorian_Brumerive


Les Bridain et les Pouldu ne comptaient plus revoir Priscille. Elle leur avait envoyé, de Venise, une carte illustrée représentant le Campanile, avec ces mots écrits en travers :
"Souvenir respectueux de votre dévouée.
P. S."
Depuis, rien. Ils se demandaient quelquefois si leur ancienne domestique n'habitait pas quelque prison italienne ou quelque hôpital de fous, et ils ne doutent plus, maintenant, qu'elle n'eût la tête dérangée.
Ils n'aimaient pas beaucoup à parler d'elle, parce qu'ils avaient subi son influence et qu'ils craignaient le ridicule. Comment avouer que cette fille extravagante les avait obligés, naguère, eux, des bourgeois sensés, des libres penseurs, des matérialistes à regarder du côté de l'autre monde !... Madame Bridain avait eu du vague à l'âme; madame Pouldu était retournée à l'église de son enfance; Léon lui-même, le positif Léon, l'ennemi des superstitions cléricales, avait essayé d'évoquer des esprits logés dans un guéridon tournant !... Et ils avaient poussé la bonté ou la bêtise à un tel point qu'ils avaient écouté les divagations de Priscille ! Ils avaient cru ou presque à la survivance du Tsar ! Ils avaient espéré qu'ils toucheraient, intégralement, les coupons de leurs titres !
Priscille partie, l'enchantement s'était dissipé. Plus de livres de spiritisme sur le guéridon immobilisé ! Plus d'église ! Plus de malaise moral ! Les Bridain et les Pouldu se réveillaient d'un étrange rêve, et le souci de l'argent, le goût des bons repas, attestaient leur retour à la santé. Du fond de l'Auvergne, une bonne leur était venue, qui aimait l'argent et les gros plats, une bonne qui ne chantait pas d'hymnes dans la cuisine, qui dormait pesamment, parlait crûment, riait fort; qui, le soir, quand on l'admettait dans la salle à manger où la famille était réunie, écoutait la lecture du feuilleton, mais ne comprenait rien à la politique.
Celle-là ne cassait pas les assiettes, par nervosité, mais elle les lavait à peine.
Lorsque Priscille arriva, sans s'être annoncée, à la fin d'avril, madame Bridain ne l'accueillit pas très chaudement.
- Que vous voilà maigrie et pâlie ! lui dit-elle avec une intention de blâme, comme si Priscille s'était engagée à revenir grasse et florissante.
L'infortunée Messagère ne tenait pas beaucoup de place sur la chaise qu'elle occupait. Ses vêtements montraient la trame. Une de ses chaussures baillait. Le crêpe de son chapeau, roussi et fripé, avait la triste couleur d'une souris morte. Quant au visage de Priscille, il était si jaune que, par contraste, le bleu obscur des yeux semblait avivé.
Poliment, elle demanda des nouvelles de la famille et s'extasia sur la belle mine de madame Bridain qui, dans son fauteuil, était comme un Bouddha femelle, tassé, ramassé et cramoisi,
- Tout le monde va bien... Et, vous savez, Priscille, j'ai eu de la chance. J'ai trouvé une bonne qui me convient admirablement.
- J'en suis heureuse pour Madame... J'étais sûre que le Seigneur ne laisserait pas Madame dans l'embarras...
- Et vous, Priscille ?...
- Madame ?
- Vous, est-ce que le Seigneur vous a tirée d'embarras ?...
Madame Bridain fixait, du regard, la bottine blessée.
- Il m'a ramenée en France... C'est pour le pas décisif.
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