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Citation de petitsoleil


- Le créateur de ce modèle, ma chère ignorante, est Mariano Fortuny y Madrazo, fils du grand Mariano Fortuny, qui est sans doute le meilleur peintre du XIXe après Goya. C'était un artiste extraordinaire, par ailleurs très lié au Maroc. Il est venu pendant la guerre d'Afrique, il a été ébloui par la lumière et l'exotisme de cette terre et il s'est efforcé de la reproduire dans beaucoup de ses tableaux : l'une de ses peintures les plus connues est, de fait, "La Bataille de Tétouan". Mais si Fortuny père est un peintre magistral, le fils est un authentique génie. Il peint également, mais ce n'est pas tout : dans son atelier vénitien, il conçoit aussi des scénographies pour des pièces de théâtre, et il est photographe, inventeur, expert en techniques classiques et créateur de tissus et de robes, telle la mythique Delphos que toi, petite faussaire, tu viens de massacrer dans une réinterprétation domestique que je devine des plus réussies. (...)

- Nous allons essayer de réaliser une Delphos pour cas d'urgence. Vous savez de quoi je parle ?
- Une Delphos de Fortuny ? demanda-t-elle, incrédule.
- Une fausse Delphos.
- Vous pensez que ce sera possible ?
Nos regards se croisèrent un instant. Le sien reflétait l'espoir soudain retrouvé.
Le mien, je l'ignore. Peut-être de la détermination et de l'enthousiasme, des envies de vaincre, de nous sortir de ce mauvais pas. Sans doute, aussi, au fond de mes yeux, une certaine terreur d'échouer, mais je m'efforçai de l'occulter au maximum.
- Ce n'est pas la première fois ; je crois qu'on peut y arriver. (...)
A quelle heure, l'obligation à laquelle vous devez assister ?
- Huit heures. (...)
- Parfait, voilà comment nous allons procéder. (...) comme j'ai déjà toutes vos mesures, un essayage sera inutile. Mais même ainsi, il me faudra un moment pour les retouches et les finitions. Ce qui nous conduit à peu près à l'heure limite. (...)
Elle me jeta un regard perplexe.

- Vous viendrez vous habiller ici, précisai-je. Arrivez vers sept heures et demie, maquillée, coiffée, prête à sortir, avec les chaussures et les bijoux prévus.
Je vous conseille d'en porter peu et pas trop voyants : la robe s'en passe, elle sera beaucoup plus élégante avec des accessoires sobres, je me fais bien comprendre ?
Elle comprit à la perfection. Elle comprit, elle me remercia de mes efforts et repartit soulagée.

Une demi-heure plus tard, aidée par Jamila, j'abordai l'opération la plus imprévue et la plus risquée de ma brève carrière de styliste en solitaire. Je savais néanmoins ce que j'entreprenais : quand j'étais chez doña Manuela, j'avais déjà participé à cette même tâche dans une autre occasion. C'était pour une cliente aussi sophistiquée que ses ressources financières étaient inégales. (...) Quatre ou cinq années étaient passées depuis ce jour-là, mais tout le processus de réalisation de la robe restait intact dans ma mémoire, car j'avais activement participé à toutes les phases. D'Elena Barrea à Rosalinda Fox, la technique serait la même. L'unique problème, c'était le manque de temps, qui nous obligerait à travailler à marche forcée. (...)

Magiquement, sous mes yeux anxieux et à la stupeur de Jamila, la soie apparut plissée et brillante, superbe. Les plis n'étaient pas permanents, tels ceux du vrai modèle de Fortuny, car nous n'avions ni les moyens ni la connaissance techniques pour y parvenir, mais l'effet était similaire, et il durerait au moins une nuit : une nuit très spéciale pour une femme en mal de spectaculaire. Je déployai donc la soierie dans toute sa largeur et la laissai refroidir. (...) la fausse robe Delphos était finie en moins d'une heure (...) une imitation trompeuse, capable néanmoins de causer une forte impression (...)

- Elle vous plaît ?
(...)
- Merci, merci, a million mercis.
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