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Citations de Maria Dueñas (77)


La chance est parfois une garce, parfois elle te laisse gagner, parfois elle te crache à la gueule et elle t'oblige à perdre.
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En tout cas, quelle que fut l’étincelle ou la précarité de son origine, l'incendie avait consumé les projets de ses aines et laissé place nette aux fondements de sa vie. Et, par-dessus tout, intangible mais puissante, il y eut l'impulsion donnée par Andres Fontana.
Presque a leur insu, un vers déclencha ce phénomène. Un vers simple, écrit a la main, retrouvé dans la poche d'un poète défunt. neuf mots d'une apparente simplicité que Daniel n'aurait jamais compris dans toute leur dimension si son professeur ne lui avait pas ouvert les yeux. Neuf mots qu'Andres Fontana traça a la craie sur le tableau noir. Estos dias azules y este sol de la infancia*.
- Monsieur, comment était le soleil pendant l'enfance d'Antonio Machado ?
La question avait jailli de la bouche d'une étudiante dégourdie, au visage de petite souris et aux grandes lunettes cerclées, qui s’installait toujours au premier rang.
- Jaune et lumineux, comme toujours, intervint le pitre de service sans être drôle.
Il y eut quelques rires timides.
Fontana ne rit pas.
Ni Daniel.
- On apprécie le soleil de son enfance seulement quand on l'a perdu, dit le professeur en s'asseyant sur le bord de sa table, le morceau de craie entre les doigts.
- Quand on perd le soleil, ou quand on perd l'enfance ? demanda Daniel en levant son crayon en l'air.
- Quand on perd le sol qu'on a foule, les mains qui nous ont tenu, la maison ou l'on a grandi. Quand le départ est définitif, quand on est chassé par des forces étrangères et qu'on est sur de ne jamais revenir.
Et le professeur, qui jusqu'alors avait sobrement et scrupuleusement respecté le programme, se dépouilla de son aspect doctoral et leur parla. De la perte et de l'exil, d’écrivains expatriés et duc cordon ombilical de la mémoire ; celui qui ne se brise jamais en dépit des monts et des océans qui finissent par séparer les cœurs des soleils de leur enfance.
Lorsque la sonnerie annonça la fin du cours, Daniel savait désormais, sans l'ombre d'un doute, ou le mèneraient ses pas.

* "Ces jours bleus et ce soleil de l'enfance."
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Il contempla encore une fois la cohue effrénée. Noirs et Blancs, Blancs et Noirs et toutes les nuances intermédiaires, déambulant au milieu des cris et des éclats de rire, vantant leurs produits, échangeant saluts et jurons. Ils sont fous, pensa-t-il. La Havane est folle, c’est une île de fous, le monde est fou.
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- [...] Les militaires, ils vivent la tout seuls ou avec leurs familles ?
- Avec leur moitié, intervint Modesto avec un entrain renouvelé. Parce que, sinon, expliquez-moi pourquoi je croiserais toutes ces pouliches qui se baladent avec leurs pantalons tellement serrés que j'ai envie de... de...
- Vas-y mollo, Modesto, après tu t'echauffes et ca fait grimper ta tension, le réprimanda Catalina, coupant court à ses élucubrations.
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- Qu'est-ce qui se passe aujourd'hui, on est en vacances ? lança Don Claudio à la cantonade.
Pris d'une activité frénétique, tous se mirent automatiquement en mouvement : ils tirèrent des papiers, des chemises, discutèrent d'affaires probablement très importantes et tapèrent sur des touches, qui de toute évidence, écrivaient la même lettre une douzaine de fois.
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Au fil des jours, lorsque mes yeux furent secs parce que je n'avais plus de larmes en moi, les souvenirs commencèrent à défiler et à me harceler avec une précision millimétrique. Je pouvais presque les distinguer : ils penetraient à la queue leu leu par la porte du fond du pavillon, cette nef vaste et remplie de lumière. Des souvenirs vivants , autonomes, petits et grands, s'approchaient à tour de rôle et se juchaient, d'un saut, sur le matelas. Ils me grimpaient sur le corps avant de s'insinuer dans mon cerveau, par une oreille, sous les ongles ou par les pores de la peau, et ils lui assenaient, sans une once de pitié, des images et des épisodes que ma volonté aurait souhaité ne plus jamais se remémorer.
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- Le créateur de ce modèle, ma chère ignorante, est Mariano Fortuny y Madrazo, fils du grand Mariano Fortuny, qui est sans doute le meilleur peintre du XIXe après Goya. C'était un artiste extraordinaire, par ailleurs très lié au Maroc. Il est venu pendant la guerre d'Afrique, il a été ébloui par la lumière et l'exotisme de cette terre et il s'est efforcé de la reproduire dans beaucoup de ses tableaux : l'une de ses peintures les plus connues est, de fait, "La Bataille de Tétouan". Mais si Fortuny père est un peintre magistral, le fils est un authentique génie. Il peint également, mais ce n'est pas tout : dans son atelier vénitien, il conçoit aussi des scénographies pour des pièces de théâtre, et il est photographe, inventeur, expert en techniques classiques et créateur de tissus et de robes, telle la mythique Delphos que toi, petite faussaire, tu viens de massacrer dans une réinterprétation domestique que je devine des plus réussies. (...)

- Nous allons essayer de réaliser une Delphos pour cas d'urgence. Vous savez de quoi je parle ?
- Une Delphos de Fortuny ? demanda-t-elle, incrédule.
- Une fausse Delphos.
- Vous pensez que ce sera possible ?
Nos regards se croisèrent un instant. Le sien reflétait l'espoir soudain retrouvé.
Le mien, je l'ignore. Peut-être de la détermination et de l'enthousiasme, des envies de vaincre, de nous sortir de ce mauvais pas. Sans doute, aussi, au fond de mes yeux, une certaine terreur d'échouer, mais je m'efforçai de l'occulter au maximum.
- Ce n'est pas la première fois ; je crois qu'on peut y arriver. (...)
A quelle heure, l'obligation à laquelle vous devez assister ?
- Huit heures. (...)
- Parfait, voilà comment nous allons procéder. (...) comme j'ai déjà toutes vos mesures, un essayage sera inutile. Mais même ainsi, il me faudra un moment pour les retouches et les finitions. Ce qui nous conduit à peu près à l'heure limite. (...)
Elle me jeta un regard perplexe.

- Vous viendrez vous habiller ici, précisai-je. Arrivez vers sept heures et demie, maquillée, coiffée, prête à sortir, avec les chaussures et les bijoux prévus.
Je vous conseille d'en porter peu et pas trop voyants : la robe s'en passe, elle sera beaucoup plus élégante avec des accessoires sobres, je me fais bien comprendre ?
Elle comprit à la perfection. Elle comprit, elle me remercia de mes efforts et repartit soulagée.

Une demi-heure plus tard, aidée par Jamila, j'abordai l'opération la plus imprévue et la plus risquée de ma brève carrière de styliste en solitaire. Je savais néanmoins ce que j'entreprenais : quand j'étais chez doña Manuela, j'avais déjà participé à cette même tâche dans une autre occasion. C'était pour une cliente aussi sophistiquée que ses ressources financières étaient inégales. (...) Quatre ou cinq années étaient passées depuis ce jour-là, mais tout le processus de réalisation de la robe restait intact dans ma mémoire, car j'avais activement participé à toutes les phases. D'Elena Barrea à Rosalinda Fox, la technique serait la même. L'unique problème, c'était le manque de temps, qui nous obligerait à travailler à marche forcée. (...)

Magiquement, sous mes yeux anxieux et à la stupeur de Jamila, la soie apparut plissée et brillante, superbe. Les plis n'étaient pas permanents, tels ceux du vrai modèle de Fortuny, car nous n'avions ni les moyens ni la connaissance techniques pour y parvenir, mais l'effet était similaire, et il durerait au moins une nuit : une nuit très spéciale pour une femme en mal de spectaculaire. Je déployai donc la soierie dans toute sa largeur et la laissai refroidir. (...) la fausse robe Delphos était finie en moins d'une heure (...) une imitation trompeuse, capable néanmoins de causer une forte impression (...)

- Elle vous plaît ?
(...)
- Merci, merci, a million mercis.
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Simona n'était pas une femme intelligente, mais elle observait de près la vie des riches depuis des dizaines d'années et elle était capable de comprendre que, outre l'argent et les propriétés, l'éducation et la culture jouaient un rôle important. Pour cette raison, quand doña Manolita se mit à donner à son fils des livres pour enfants qu'il n'aurait jamais pu avoir autrement, elle pressentit que sa patronne servait finalement à quelque chose.
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- Vous êtes en train de me dire qu'on m'envoie séduire un suspect ? demandai-je, incrédule, en me redressant sur mon fauteuil.

- Employez les moyens qui vous paraîtront les plus adaptés (...)
Da Silva est, semble-t-il, un célibataire endurci qui se plaît à combler de cadeaux des femmes ravissantes sans nouer aucune relation solide.
Il aime apparaître en compagnie de dames séduisantes et sophistiquées, surtout si elles sont étrangères. Pourtant, d'après nos informations, c'est un parfait gentleman portugais de la vieille école. Par conséquent, soyez sans inquiétude : il n'ira pas plus loin que ce que vous serez vous-même disposée à lui accorder.

Je ne sus si je devais m'offenser ou éclater de rire. On m'expédiait séduire un séducteur, telle était mon exaltante mission portugaise.
Cependant, pour la première fois de toute notre conversation, j'eus l'impression que ma voisine inconnue lisait dans mes pensées.

- Je vous en prie, votre tâche ne se réduit pas à quelque chose de frivole dans les cordes de n'importe quelle jolie femme en échange d'une poignée de billets. Il s'agit d'une opération délicate et on vous en a chargée en raison de vos capacités. Certes votre physique, vos origines présumées et votre qualité de femme sans aucune attache constituent des arguments de poids, mais vos responsabilités vont bien au-delà d'un simple flirt.

Vous aurez à gagner la confiance de Da Silva petit à petit, il vous faudra agir avec la plus grande précision. Vous-même évaluerez chaque situation, marquerez le rythme, soupèserez les risques et déciderez de vos actes en fonction du moment.
Nous apprécions au plus haut point votre expérience en matière de captation systématique d'information, ainsi que vos aptitudes à improviser face à des circonstances inattendues.

Vous n'avez pas été choisie au hasard pour cette mission ; vous avez déjà démontré que vous possédiez les ressources nécessaires pour vous tirer d'un mauvais pas.
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Me frayer un passage dans la vie d'Andrés Fontana à la manière dont on creuse une tranchée, ce n'était pas la bonne méthode. Il fallait que mon optique soit radicalement différente et parte d'une autre perspective. Je devais adopter une attitude humaine, proche, m'efforcer de découvrir une personne cachée entre les mots.
Ma mission était de récupérer la mémoire d'un homme.
La mémoire enterrée d'un homme oublié.
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«  Cette machine à écrire ne bouleversa pas mon destin.

Je m’étais trompée en le croyant lorsque , jeune et ignorante, je ne possédais pas encore en mémoire les mots «  violence », «  amertume » , «  affliction » ou «  colère » , et que j’étais incapable d’imaginer les déchirements que la vie me réservait.
Non. L’innocent mécanisme destiné à assembler des lettres n’avait pas bouleversé mon destin. »
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«  Il y avait des conversations dans différentes langues, des rires discrets , les tintements du cristal contre le cristal. Et , flottant dans l’air, de subtiles effluves de Patou et de Guerlain, la sensation du savoir - vivre le plus exquis et la fumée d’innombrables cigarettes blondes.

La guerre d’Espagne, qui venait de s’achever, et le conflit brutal ravageant l’Europe semblaient anecdotiques, d’une autre galaxie, dans cette atmosphère de pure sophistication. » page 398.
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a comparer sa vie apparemment oisive avec mon quotidien laborieux, je sentis soudain, sur mon échine, la caresse de quelque chose proche de la jalousie.
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Nous tous qui emplissions cette salle, nous quitterions ce monde sans laisser de trace ou presque, mais la femme qui donnait de la voix sur l'estrade (Eva Peron) , avec sa vingtaine d'années, peroxydée, disait et faisait ce qui lui venait à l'esprit, resterait dans l'histoire.
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Pourtant, jamais je ne fus aussi consciente d'entamer un nouveau cycle qu'en cette mi-journée d'octobre, où mes pas se risquèrent enfin à franchir le seuil et résonnèrent dans la vacuité d'un appartement sans meubles. J'abandonnais derrière moi un passé complexe et, comme en guise de prémonition, s'ouvrait devant moi un espace nu que le temps se chargerait de remplir peu à peu. Remplir de quoi ? D'objets et de sentiments. D'instants, de sensations et de personnes. De vie.
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Je constatai qu'il existe des substances qui se fument, s'injectent ou s'inhalent par le nez et qui bouleversent les sens, que des individus sont capables de jouer leur mère à une table de baccara et que certaines passions charnelles inspirent, à l'homme et à la femme, des combinaisons beaucoup plus complexes qu'une simple position horizontale sur un matelas.
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Tous les cas sont envisageables pour ce qui est de nos destins, car il n'en existe aucune trace. A moins que nous n'ayons même jamais existé. Ou bien si, mais personne ne s'est rendu compte de notre présence. En fin de compte, nous sommes toujours restés au revers de l'histoire, activement invisibles dans ce temps que nous avons vécu de fil en aiguille. (p.684)
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- Je ne sais pas pourquoi tu me regardes avec ces yeux, petite, ajouta-t-il alors.
- Parce que j'ignore de quoi tu me parles, Félix.
- C'est "instincts darwiniens" que tu ne comprends pas ? Tu ne connais pas non plus Darwin ? Celui des singes, de la théorie selon laquelle les humains descendent des primates ? Si j'affirme que ma mère a des instincts darwiniens, c'est parce qu'elle adore l'anisette del Mono. Mono, "singe", pigé ?
Ma chérie, tu as un style divin et tu couds comme une déesse, mais en matière de culture générale, tu es un petit peu nulle, non ?

Je l'étais, en effet. J'avais des facilités pour apprendre et retenir, mais j'étais aussi consciente des carences scolaires que je traînais derrière moi.
Le contenu des encyclopédies m'était à peu près inconnu, sauf le nom d'une poignée de rois ânonnés par cœur et le fait que l'Espagne était limitée au nord par la mer Cantabrique et séparée de la France par les Pyrénées.
Je pouvais réciter a tue-tête les tables de multiplication et j'étais assez rapide en calcul, mais je n'avais pas lu un seul livre et en histoire, en géographie, en art ou en politique, mes connaissances se limitaient, à peu de chose près, aux savoirs absorbés au cours des mois passés avec Ramiro ou grâce aux bagarres entre sexes dans la pension de Candelaria.

J'étais capable de donner le change et d'apparaître comme une jeune femme stylée, une créatrice sophistiquée, pourtant il suffisait de gratter un peu la couche extérieure pour découvrir ma fragilité.
C'est pourquoi, durant ce premier hiver à Tétouan, Félix me fit un cadeau inestimable : il commença mon éducation. (....) malgré ses louables intentions, mon voisin fut loin d'être un professeur conventionnel. Félix Aranda aspirait à être un esprit libre, alors qu'il passait les quatre cinquièmes de son temps opprimé entre la bipolarité despotique de sa mère et l'ennui monotone du plus bureaucratique des métiers (...)

Néanmoins, bien que Félix n'ait jamais été un maître méthodique et organisé, il me dispensa de nombreux enseignements aussi incohérents que décousus, qui, à la longue, me permirent de me débrouiller dans le monde.
Je me familiarisai avec des personnages tels que Modigliani, Scott Fitzgerald et Joséphine Baker, je parvins à distinguer entre le cubisme et le dadaïsme, je sus ce qu'était le jazz, j'appris à situer les capitales européennes sur une carte, je mémorisai les noms de leurs meilleurs hôtels et cabarets, et je réussis à compter jusqu'à cent en anglais, en français et en allemand.
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Maria Dueñas
Pero ahora sé que el destino es la suma de todas las decisiones que tomamos en nuestra vida.
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Elle s'appelait Rosalinda Fox ; sa peau était si claire et si fine qu'elle ressemblait au papier de soie dont on enveloppe les dentelles ; sa façon de parler était curieuse : ses paroles sautaient d'une langue à l'autre et se bousculaient dans sa bouche à une cadence infernale, souvent incompréhensible.
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