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Citation de Cielvariable


Il ne comprenait pas pourquoi on parlait si peu de cette possibilité d'être entier tout en étant doublement amoureux. Que cette duplication ne soit ni une échappatoire hypocrite, ni une manière d'amoindrir l'amour ou de l'épicer, mais un état de fait troublant, une réalité solide et possible ébranlait profondément les convictions de François. Pour rien au monde il n'aurait voulu qu'Élisabeth soit torturée par les sentiments qu'il portait à Anne. Cela était déjà assez douloureux à vivre, et la touchait bien assez à travers ses variations d'humeur. Il ne savait pas lui-même comment il parvenait à concilier les deux pôles de sa vie avec autant de certitude. Il savait que même si jamais plus elle ne le touchait, il aimerait Anne et lui appartiendrait quand même. Et que, si Élisabeth venait à le quitter, il ne cesserait pas de l'aimer et ne parviendrait pas à atténuer son chagrin par la présence continuelle d'Anne. Les deux femmes constituaient son absolue capacité d'aimer. Choisir lui semblait une solution aussi inepte que de se mutiler un membre par ignorance de son usage. Et la lâcheté n'avait rien à voir là-dedans. Il avait essayé de se détester, de se mépriser, de délabrer, d'avilir son amour pour Anne. En vain. La seule analogie acceptable qui lui venait lorsqu'il argumentait avec lui-même pendant des heures sur le sujet était l'amour que l'on porte à ses enfants qui peut varier totalement d'un enfant à l'autre sans perdre de sa qualité. On pouvait aimer ses enfants différemment, selon le type d'attachement que chacun d'eux suscitait. Et le sentiment pouvait être aussi fort et sincère même s'il différait selon l'enfant. Quelquefois l'un d'eux pouvait prendre plus de place, monopoliser l'attention, l'amour exprimé, sans pour autant épuiser tout l'amour à son profit, comme si ce n'était qu'un contenant précis, fermé et limité. François s'apercevait que l'exclusivité d'un sentiment n'était pas nécessairement la preuve d'une grande aptitude à aimer. L'amour était une source génératrice en lui-même et non un lac artificiel immuable qui ne contient que l'eau que l'on y a mise. La source semblait intarissable. Et c'était assez terrifiant. IL se jugeait terriblement égoïste de vouloir tout prendre sans rien perdre. Et pourtant, il avait bel et bien perdu Anne, sans cesser pour autant de l'aimer.

François se sentait piégé. Incapable d'être totalement heureux, il vivait à cloche-pied sur ses sentiments. Il n'était ni tout à fait là, ni vraiment ailleurs; il était seulement très malheureux et ne connaissait ni remède, ni refuge. Il ne demandait pas à Élisabeth de le consoler d'Anne, même de façon détournée. Cela aussi faisait partie de l'étanchéité des deux amours. Il vivait lentement, jour après jour, comme un convalescent.
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