Marie-Sabine Roger

Sur l’Archipel, lorsqu’arrive le jour après lequel plus jamais aucune chose ne sera aussi belle qu’avant, on bâtit une jolie case à l’abri de la pluie, sur le plateau de Passe-au-loin.
On y met tout ce que l’ancêtre a aimé dans sa vie, ses souvenirs, ses objets familiers, on lui fabrique un lit douillet, on le conduit en triomphe, en musique, par les plus beaux sentiers, les chemins qu’il a choisis, on fait la fête pendant trois jours, peu importe qu’il ou elle dorme, qu’il ou elle ait toute sa tête.
Tant que la tête est sur les épaules, de toute façon, c’est qu’elle est là.
On finit la fête au lever du soleil, au matin du quatrième jour. Il vaut mieux qu’une vie s’achève sur une journée qui commence.
On fait la tisane Beau-Songe, la tisane de longue nuit, douce et âcre comme la vie. On la sucre au miel de suave, on s’embrasse, on se dit qu’on s’aime, on reste tout le temps qu’il faut. Le temps que le regard s’éteigne, que les paupières se referment, que la main lâche prise, et le cœur épuisé, dans un souffle léger.
On allume un beau feu de joie pour griller Grand’Pa ou Grand’Ma.
Puis, enfin, on rentre chez soi, le cœur chaud comme une braise, débordant d’amour pour la vie.
Un peu plus tard, quand il voudra, le vent décidera où voleront les cendres.