Il te torturait avec ses histoires de guerre, en te montrant les blessures que le monde lui avait infligées, maudissant avec un rictus de haine les hommes qui avaient lutté à ses côtés et qui maintenant vivaient dans un luxe bourgeois, oublieux de la lumière, des années d'angoisse, de l'hypocrisie grâce à laquelle ils avaient survécu, en s'éloignant avec indifférence de toute nouvelle douleur. Lui, qui s'éloignait aussi de son passé, n'était pas arrivé cependant à abolir ses fantasmes, à perdre les habitudes de rapine du soldat, à renoncer au mensonge qui au nom d'un idéal justifie les actes injustes : il vivait encore dans une ambiance de guerre. Réveils en sursaut, fenêtre dont on tire les rideaux, main palpant le revolver, lèvres sèches sur une angoisse, poings qui se crispent près d'une assiette, cigarettes grillées en permanence, et tout pour lui était aussi instable, aussi variable que sa propre nationalité.