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Citation de Partemps


« [...] Notre langue nous atteint-elle assez directement pour que nous y prêtions l’oreille ? Ou bien notre langue nous fuit-elle ? C’est un fait. Ce qu’autrefois notre langue a formulé, son inépuisable antiquité, sombre de plus en plus dans l’oubli. Que se passe-t-il ? [...] A l’époque actuelle, par suite de la hâte et de la banalité des paroles et des écrits de tous les jours, un autre rapport à la langue s’instaure d’une façon toujours plus décisive. Nous croyons en effet que la langue, comme tout ce dont nous nous servons journellement, n’est qu’un instrument, l’instrument de la compréhension et de l’information.

Cette conception de la langue est pour nous si courante que nous remarquons à peine sa puissance inquiétante. Cependant, ce caractère inquiétant se manifeste avec une évidence croissante. La conception de la langue comme instrument d’information est aujourd’hui poussée à l’extrême. On a bien une certaine connaissance de ce processus, mais on ne s’interroge pas sur son sens. On sait que maintenant, dans le contexte de la construction des cerveaux électroniques, on ne fabrique pas seulement des machines à calculer, mais aussi des machines à penser et à traduire. Tout calcul, au sens précis et au sens large, toute pensée et toute traduction s’accomplit cependant au sein de la langue. Grâce aux machines évoquées ci-dessus, la machine à parler est devenue réalité.

La machine à parler, en tant qu’appareillage technique du genre des machines à calculer et à traduire, est quelque chose d’autre que la machine parlante. Nous connaissons celle-ci sous la forme d’un appareil qui enregistre et restitue nos paroles, et qui ne s’immisce donc pas encore dans la parole de la langue.

Au contraire, la machine à parler réglemente et mesure, à partir de ses énergies et de ses fonctions mécaniques, la forme de notre utilisation possible de la langue. La machine à parler est — et surtout deviendra — l’une des façons dont la technique moderne dispose du mode et du monde de la langue en tant que telle.

En attendant, il semble toujours en apparence que l’homme maîtrise la machine à parler. Mais il se pourrait bien, en vérité, que la machine à parler prenne en charge la langue et maîtrise ainsi l’essence de l’ homme.

Le rapport de l’homme à la langue est pris dans une mutation dont nous ne mesurons pas encore la portée. Le cours de cette mutation ne se laisse pas non plus arrêter de façon immédiate. Il s’accomplit en outre dans le plus profond silence.

Nous devons admettre, bien sûr, que la langue apparaît dans son usage quotidien comme un moyen de compréhension et qu’elle est utilisée en tant que tel pour les rapports habituels de la vie. Pourtant il y a encore d’autres rapports que ces rapports habituels. Goethe nomme ces autres rapports « plus profonds » et dit de la langue :

« Dans la vie commune nous nous accommodons tant bien que mal de la langue, car nous ne décrivons que des rapports superficiels. Dès qu’il s’ agit de rapports plus profonds, aussitôt une autre langue apparaît, la langue poétique. » (Oeuvres, IIe partie, t. XI. Weimar, 1893, p. 167). »
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