AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet

Citation de Cannetille


En de rares occasions, elle éprouvait comme un regain de forces. Elle revenait à elle, pour un instant. Elle se remettait alors à distribuer des tâches à chacun. Les carottes devaient être découpées selon un modèle précis, ce que Rozela vérifiait ensuite elle-même ; les casseroles, dans la cuisine, devaient être rangées selon un ordre déterminé. Rozela avait une liste de choses à régler avant sa mort. Et en première place, sur cette fameuse liste, figurait l’achat de sa tenue pour le cercueil. Et, justement, au cours d’une de ces journées où elle sentait revenir un afflux de forces, elle informa Truda d’un ton catégorique qu’elle souhaitait un corsage blanc, une jupe noire et des chaussures noires – maintenant ! Sa fille était ennuyée : où donc pouvait-elle trouver ça ? Les magasins étaient vides, on allait faire ses courses comme on allait à la chasse. Dès que tombait la nouvelle d’une livraison dans un magasin, de longues queues se formaient aussitôt et on prenait ce qui se présentait ; et d’ailleurs, il n’y en avait jamais assez pour tout le monde. Rozela lui demanda d’informer Ilda. Ce que fit Truda, enfourchant à contrecœur le vélo pour se rendre à la poste de Kartuzy et téléphoner à Sopot. Deux jours plus tard, Ilda pointait de nouveau son nez à la Colline. La benjamine des sœurs voulait conduire sa mère chez la couturière. Elle n’allait se déshabiller devant personne, protesta vivement Rozela. À la fin, Gerta proposa d’aller jusqu’à Gdańsk en passant par Kartuzy et Kościerzyna, peut-être qu’elles réussiraient à trouver quelque chose quelque part. Une telle perspective ne réjouit guère Rozela. Elles partirent cependant. La tenue pour le cercueil, c’était le plus important après tout. À Kartuzy, elles ne trouvèrent rien du tout. À Kościerzyna, on vendait des corsages infroissables, mais, de ceux-là, Rozela ne voulait pas : c’était une calamité pire encore que le polymère, le plastique dont étaient faites les fleurs de l’enterrement d’Abram. Elles finirent par dénicher une blouse et une jupe à Gdańsk, dans une espèce de dépôt-vente que les marins fournissaient en vêtements venus de l’Ouest. Pour les chaussures, ce fut une autre paire de manches. L’État populaire prévoyait, pour les défunts dans leur cercueil, des chaussures en carton dont ne voulait absolument pas Rozela. Enfin, dans un quartier portuaire de Gdynia, elles trouvèrent des souliers en cuir noir. Bien que morte de fatigue, tout endolorie après une nouvelle expédition de plusieurs heures en voiture, Rozela était contente. Depuis ce jour-là, tous les vendredis, elle commençait sa journée par le repassage de ses habits mortuaires, elle les aspergeait aussi d’eau d’ortie contre les mites. De temps en temps, le jeudi soir, les filles de Gerta, de plus en plus grandes, mais toutes sosottes encore, des gamines, quoi ! sortaient les habits de Rozela de l’armoire et allaient les cacher dans le jardin, ou au grenier, et elles étaient aux anges lorsque leur grand-mère, paniquée après avoir ouvert l’armoire, poussait des cris et, impuissante, courait à travers toute la maison en pleurant qu’elle n’avait rien à se mettre pour mourir. Rozela avait déjà oublié que ses petites-filles s’amusaient toujours à faire disparaître sa blouse et sa jupe.
Commenter  J’apprécie          160





Ont apprécié cette citation (14)voir plus




{* *}