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Citation de Tandarica


Né en mars 1885, Matei Caragiale consacra sa vie à une étude passionnée de ses semblables. Très tôt, dès le lycée, il fut attiré par l’Histoire, surtout par la science héraldique qui demeura toujours l’une de ses passions fondamentales. Les références aux blasons et aux armoiries qui émaillent tous ses écrits en sont d’ailleurs une preuve. D’aucuns le raillaient sans pitié pour ce penchant, dans lequel ils voyaient en premier lieu l’expression d’une frustration de l’écrivain qui aurait regretté de ne pas être de plus haut lignage. En dehors de cette particularité, la vie de Matei Caragiale se déroula paisiblement, comme la vie de tout bon bourgeois extrêmement méticuleux dans ses notations précises à propos de tout et de rien, amateur de musique choisie, sensible à la beauté ensorcelante de la nuit, attentif à ses propres rêveries. Un voyage en Italie — en quête d’un poste au ministère des Affaires étrangères — le marqua assez profondément, car il avait le don de saisir au vol les moindres nuances de la présence artistique. Sa vie se passa principalement entre Berlin — où son père fut un temps exilé — et Bucarest ; vers la fin de sa vie, il se retira dans un petit domaine que sa femme lui avait apporté en dot, et il mourut en 1936 dans la capitale roumaine.
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Pourtant, Matei Caragiale occupe une place très particulière dans la littérature roumaine. Longtemps peu connue du grand public, son œuvre fit les délices d’un petit cercle d’admirateurs fervents. La richesse éclatant de son langage recherché, voire maniéré, n’ignore cependant pas la verte saveur de l’argot populaire. Ses qualités de poète, ajoutées une profonde méditation historique, se retrouve à la fois amplifiées et purifiées dans ses écrits en prose.
Dans “Remember”, l’auteur se défend d’avoir voulu faire autre chose que la relation d’un banal fait divers. Néanmoins, sa mise en garde est inutile. Peut-être l’aventure d’Aubrey de Vere n’est-elle vraiment qu’un fait divers. Mais grâce à la plume de Matei Caragiale, elle prend une dimension nouvelle, se colorant de la magie à la fois attirante et inquiétante des rencontres fortuites avec un surnaturel jailli des événements d’apparence anodine. Certes, Aubrey de Vere diffère radicalement du monde qui l’entoure, et son bref passage dans la vie de l’écrivain prend–avec le recul du temps–l’allure d’un rêve, d’une hallucination que n’aurait reniée ni Gérard de Nerval, ni peut-être Edgar Allan Poe. L’atmosphère envoûtante de la nouvelle qui se maintient avec un art consommé à la frontière invisible du réel et de l’irréel fait songer dans sa délicatesse gorgée de réminiscences diverses aux vieilles légendes moyenâgeuses qui engendrent au fil des siècles le monde fascinant des personnages fantastiques. Paradoxalement, ce côté déroutant demeure solidement ancré dans une réalité très stricte, presque cartésienne, et la disparition même du mystérieux jeune homme aux saphirs bleus n’est peut-être au demeurant que le regret mélancolique issu de l’achèvement d’un songe. En un certain sens, et bien que les deux œuvres soient profondément différentes, “Remember” peut être considéré comme une somptueuse ouverture à l’ouvrage fondamental de Matei Caragiale.
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Chronique d’une époque mouvementée — celle de l’entre-deux-guerres où diverses capitales d’Europe orientale au faîte de leur renommée secrétaient d’étranges personnages rebelles à leur entourage et lucides jusqu’à la douleur devant les tares de leur société — “Les Seigneurs du Vieux Castel” se contentent d’être l’étincelante description, parfois mordante, d’un monde en désagrégation. En traits acérés, Matei Caragiale esquisse des prototypes sociaux aux caractéristiques fortement marquées, ce qui n’empêche d’ailleurs pas l’écrivain de laisser entrevoir la tendresse qu’il éprouve à leur égard, hormis Pirgu, qui symbolise le politicien véreux dans toute sa bassesse, celui qui ferra fortune après une chute inévitable des seigneurs, autrefois maîtres des destinées du pays.

(extraits de la préface de Claude B. Levenson, Éditions L'Âge d'Homme, 1969, traduction du roumain par Claude B. Levenson)
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