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Citation de Charybde2


Adapter (s’)

Parmi les nombreux sujets dont la Terre entière est spécialiste, on trouve depuis un an l’épidémiologie, et depuis des siècles le football et l’école.
Je dois confesser ne rien connaître ni à la première ni au deuxième, mais m’amuse souvent en écoutant mes congénères pontifier sur mon métier, qui m’a quand même demandé dix années d’études pour avoir un minimum de recul.
Je pense pouvoir dire que, si tout le monde a un avis sur l’école, c’est parce que tout le monde y est passé ; chaque adulte reste par ailleurs un éternel écolier, dans la mesure où il porte en lui le souvenir d’un prof qui l’a révélé, ou d’un autre qui l’a découragé.

Le métier d’enseignant est, comme pour tout orateur, une affaire d’adaptation : on doit à la fois s’accorder avec notre sujet et avec notre public. Cicéron et Quintilien ont bien montré l’importance de l’inventio : il faut en permanence s’assurer que les arguments déployés ainsi que la manière dont ils sont organisés sont adaptés à l’objet du discours.
De même, il est important de prendre en compte son public, au nom d’un idéal de clarté théorisé sous l’Antiquité et réintroduit par le classicisme. C’est cette exigence de clarté qui, dans un métier comme le nôtre, permet d’aborder des contenus parfois très exigeants : on peut étudier tout, avec n’importe qui.

Pour convenir, un discours doit s’adapter à des circonstances toujours singulières, mais selon des modalités globalement inchangées depuis la Rhétorique à Hérennius.

S’adapter à son sujet, c’est d’abord une histoire de style : difficile d’émouvoir sans un style noble, difficile d’être didactique sans un style simple, compliqué de faire rire sans un style agréable. En dehors d’expériences littéraires sans conséquences, on sait à quel point un sujet traité avec un style inconvenant peut perturber : on peut rire de tout, mais pas… n’importe comment.
De même, en fonction du thème que l’on souhaite aborder, on veillera à respecter les codes des trois grands genres de discours (voir cette entrée) : le judiciaire pour accuser ou défendre, le délibératif pour exhorter ou dissuader, le démonstratif pour louer ou blâmer. Il est parfois vertigineux de se dire que, depuis toujours, n’importe quelle cause prend l’un de ces trois visages.

Mais ce qui importe par-dessus tout, c’est de prendre en compte son public. Pascal a très bien montré qu' »il y a deux entrées par où les opinions sont reçues dans l’âme » : le discours changera donc selon que l’on veut toucher l’esprit ou le cœur. Et c’est ainsi que j’en reviens aux souvenirs d’école, car l’une des particularités de notre métier est que l’on doit parler aux deux, sous peine de finir au fond du tiroir des « mauvais profs », démagogues s’ils parlent trop au cœur, et inhumains s’ils ne s’adressent qu’à l’esprit.

Il existe finalement un paradoxe dans l’éloquence, qui consiste à prendre la parole pour modeler son public, mais qui impose pour cela de se modeler soi-même afin d’être au plus près de ceux que l’on veut changer. Sans ce principe, c’est l’échec assuré.

Cela dit, le principe même du débat ou de la prise de parole hors de l’entre-soi est un sacré défi : en effet, l’histoire de la rhétorique est émaillée de tentatives infructueuses, le désaccord prenant le plus souvent la forme stérile de deux routes parallèles qui ne parviennent jamais à se rencontrer. Il en faut du courage, pour construire des carrefours.
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