Matthias Viviand

Des peurs et des angoisses nouvelles sont naturelles dans ce genre de situation. Faites-vous aider. Parler de tout. C’est un conseil. Un simple conseil. Pour avancer. La guérison du corps n’est qu’imparfaite si elle n’est pas accompagnée de la guérison de l’esprit.

Toujours marcher, ne pas lâcher. Essayer de ne pas entendre les plaintes de son estomac se tordant et se retournant à la recherche sans espoir d’une miette à digérer. L’aube tira de leurs stupeurs des corneilles, criantes et croassant, qui semblaient la suivre d’un œil mauvais et discuter entre elles du temps qui lui restait à vivre. Celle-ci dévorera ton œil gauche, celle-là arrachera ta langue, les autres picoreront ta cervelle. Peut-être après ta mort. Peut-être pas…

Je ne veux pas mourir en le laissant croire que ce n’est pas l’homme de ma vie. Je veux retrouver ses bras. Je veux qu’il me protège. Je veux le revoir… Lui et ma mère. Je ne veux pas que la police la réveille et lui dise que sa fille est morte. Maman, si tu m’entends, je t’aime. Je ne te l’ai pas assez dit, pas assez en le pensant. Prends-moi dans tes bras. Ne me laisse pas. Sauvez-moi. Je ne mérite pas ça. Pitié… 

Un froid inhabituel. Un sol dur, inconfortable. Trop de lumière. Yohan était de plus en plus mal à l’aise. Sans ouvrir les yeux, il essaya de se rappeler où il avait bien pu s’endormir la veille. Avait-il bu ? Impossible à dire. Il serra la main pour attraper le drap, mais c’était de la poussière qu’il sentit sous ses doigts. Derrière ses paupières, il ne voyait qu’un halo lumineux oscillant entre le rouge sang et l’orangé. Un mal de crâne battait dans ses tempes. Encore dormir. Un instant de sommeil supplémentaire. Il sombra.

Du vent. De l’air. Un flux léger glissait sur sa peau. Ce n’était pas désagréable. Il ouvrit alors les yeux. Dehors. Il était dehors. Allongé sur un chemin sableux. Quelle était donc cette mauvaise blague ? Il se retourna sur le dos et face à lui, il n’y avait que du ciel. Une voute intensément bleue sans le moindre nuage.

Leila courait à en perdre haleine. Elle tenait son bras cassé pour qu’il ne lui fasse pas trop mal, juste assez pour avancer sans crier. Elle n’avait qu’une idée en tête, s’éloigner. Ses pieds nus faisaient crépiter les feuilles. Elle progressait au hasard, les branchages griffaient son visage, ses bras, ses cuisses. Elle serrait les dents pour ne pas craquer. Craquer c’était mourir.Un bruit arrêta sa progression. Elle se laissa tomber au pied d’un arbre, posa sa tête contre l’écorce et essaya tant bien que mal de retenir sa respiration. Leila devait être la plus silencieuse possible. Sa vie en dépendait. Elle n’aurait pas de deuxième chance, s’échapper relevait du miracle. Elle ne savait pas si elle avait tourné en rond et si son bourreau avait eu le temps de la rattraper.

Sa nudité était repoussante tellement elle dévoilait un acharnement de sévices, une douleur atroce, généralisée, une vie qui ne tenait qu’à un fil. Un des deux témoins de la scène frappa son collègue à l’épaule. Sorti de sa torpeur, il composa le numéro des pompiers sur son portable.

Et il y a cette fille. Elle ne devrait pas être là. Sa place est avec les siennes. Mais elle les défie, reprend leurs codes, a assez de répartie pour obtenir une sorte d’immunité. Tous la désirent, mais personne n’ose faire le premier pas. Ses cheveux frisés, noirs comme la nuit, retombent sur ses épaules avec grâce. Sa peau hâlée, constellée de gouttelettes brillantes dans la lumière éclatante de l’été, semble si douce. Son maillot cache à peine des formes que Nour aimerait caresser à en perdre la raison. Elle sourit à tous, des étoiles dans ses yeux en amande, et dévoile de petites dents blanches qui le font tomber immédiatement amoureux. Elle devient le centre de tout, elle remplit tout son rêve.

« Je sais ce que tu penses, car je suis aussi dans ta tête. Tu te demandes si un souvenir peut saigner. Il le peut, regardes. » Maria souleva les mains devant elle. Elles étaient couvertes de sang. « Je vais mourir. Je t’ai fait venir une dernière fois. Tu pourras écrire encore sur moi, mais ce ne sera plus comme maintenant. Notre histoire n’a jamais existé, je le regrette. Tu aurais été heureux avec moi. Tu as juste oublié de me donner ma chance. Je ne veux pas partir seule. J’ai peur, car après il n’y a rien. Les idées n’ont pas de Dieu si ce n’est celui qui les fait naître. Elles n’ont pas de paradis, non plus. Reste avec moi. Je meurs… »

Pour rallumer le feu de la passion tous les jours et ne jamais la laisser savourer sa victoire. Il la voulait captive de conquêtes dans une séduction perpétuelle. Peut-être l’avait-elle compris et était rentré dans ce jeu pour eux.

Derrière la porte, une rue parisienne se cachait. Une rue calme éclairée par des lampadaires à la lumière jaunâtre. Des immeubles en enfilades, un trottoir, du macadam usé, tellement normaux, tellement incroyables. Un bruit de circulation ténue leur parvint, de très loin. Peut-être qu’une télévision ou une chaîne hi-fi diffusait de la musique quelque part. Ils se prirent dans les bras et passèrent le seuil. Ils étaient enfin rentrés. En se retournant, il n’y avait plus rien.

Ils partirent en courant avant de réaliser que cela ne servait à rien. Laure était bien là, bien vivante. C’était la seule chose qui comptait.