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Citation de Dorian_Brumerive


Vivre une semaine dans l'intimité de Dieudonné et de Lily valait tous les vaudevilles du Palais-Royal. Tantôt nurse, tantôt dompteuse, la marquise jugulait et morigénait alternativement son noble époux qu'elle appelait toujours "Marquis".
- "Marquis", avez-vous pris votre pilioule pour le foie... ?
Et, tournée vers ma mère, elle commentait :
- Le foie de "Marquis" est grosse comme une melon... Si je ne surveille pas "Marquis", il montera au ciel le temps de prononcer Jack Rabitt... Pauvre "Marquis" ! Il abiouse de la fine Napoléon et du couche-couche traversin !
Car les frasques du seigneur de la Croix-Mornet étaient, dans le vocabulaire imagé de l'américaine maquise, des parties de couche-couche traversin.
Naturellement, vu mon inexpérience et ma jeunesse, mes parents n'insistaient pas sur ce côté frivole de la vie privée de notre hôte, mais j'avais ma source de renseignements. Mon informateur était un garde-chasse, Saturnin, un Solognot borgne et paillard qui excitait mon admiration parce qu'il savait cracher entre ses dents et faire mouche sur une marguerite à trois mètres. Il m'avait pris en amitié et ne se gênait pas pour m'en conter des vertes et des pas mûres sur les galipettes du marquis.
Chaque séjour au château m'édifiait un peu plus sur la fidélité conjugale, telle que la comprennent les gens qui sont nés. "Marquis" avait quatre maîtresses aux quatre points cardinaux. Une à Blois, une à Orléans, une à Vierzon et une à Poitiers. Il choisissait des femmes mariées dont il assurait les fins de mois difficiles avec les dollars de Lily.
Le garde-chasse dont notre hôte avait acheté la complicité me disait :
- Corbleu ! Monsieur le Marquis est chaud de la pince ! Faut pas lui en promettre. Entre nous, il est-z-hypocrite. Il va se purifier à la messe le dimanche, parce que le samedi, il a culbuté des poulettes dans le canton voisin ! Quand y va quasiment faire des politesses à ses régulières, y dit : « Saturnin, j'ai rendez-vous avec mon dentiste à Blois... ». Comme je sais ce que parler veut dire, je rigole tout mon saoul et j'y réponds : « Monsieur le Marquis, n'oubliez pas vot' râtelier sur l'édredon ! » M. le Marquis pouffe, j'attèle Cocotte au tilbury et « Fouette, cocher ! », je le conduis au train... Vingt dieux ! Il est tout guilleret et il s'en pourlèche les babines à l'avance !
Le marquis était naturellement royaliste et, le soir, dans la bibliothèque du château, étalait avec passion son mépris des régimes démocratiques. Je l'entends encore tonitruer :
- Le suffrage universel est la plus belle foutaise de I'Histoire. C'est le bout de sucre offert par de malins rhéteurs aux chiens galeux. Donner un bulletin de vote au vacher illettré ou au cantonnier ignare, c'est mettre un aveugle aux commandes d'une locomotive... Ils ont dans leur Parlement six cents roitelets qui font joujou avec le pouvoir. Un seul roi eut été moins dangereux. Mieux vaut un clou à la fesse qu'une éruption de six cents furoncles sur tout le corps !!!
Les serfs au temps de Louis XI ne savaient pas lire et ignoraient les Droits de l'Homme. Par contre, ils n'étaient pas conscrits, ni obligés de faire "Une, deux ! Une deux !" dans la cour d'une caserne. Vivent les rois sous lesquels Jacques Bonhomme laissait aux mercenaires l'obligation de se faire casser la figure pour les beaux yeux de la dynastie ! Ils étaient payés pour cela, les bougres ! Avec le régime de la nation armée, tout le monde irait rejoindre la ligne bleue des Vosges, s'il plaisait à Guillaume II de nous déclarer un jour la guerre, après une nouvelle affaire Schnebelé ou une réédition du traquenard de la dépêche d'Ems ! La Révolution Française, ce cancer de l'Europe, a infesté ses voisins avec ses trois microbes virulents: LIBERTÉ, EGALITÉ, FRATERNITÉ !...
Ah ouiche ! Liberté de se faire gruger par des politiciens irresponsables ! Égalité devant la boucherie collective... ! Et Fraternité dans la misère camouflée en émancipation du peuple... !
Il avait d'ailleurs été candidat au Conseil Général de son département. Candidat réactionnaire, cela va sans dire ! Mon père avait assisté à une de ses réunions électorales et m'avait raconté qu'il n'avait jamais tant ri : En montant sur l'estrade, notre ami Dieudonné a regardé ses trois cents auditeurs pendant quelques secondes, les bras croisés, et a commencé :
- Mes chers concitoyens, je ne suis pas ici pour vous promettre la lune comme les scélérats socialistes et les faux-jetons radicaux, qui vous dorent la pilule (Mouvements dans l'auditoire). La République est une roulure qui vous aguiche sous son bonnet phrygien... (Cris variés : "Oh ! Oh !"...) Parfaitement, mes chers concitoyens, la République, c'est Grévy, dont le gendre vendait des décorations... C'est Panama, c'est cet imbécile de Boulanger, c'est la gabégie, la concussion et le népotisme... Crions donc tous en chœur : "Vive le Roi !"
Et je vais t'expliquer pourquoi notre cher Dieudonné n'a pas pu en dire davantage. Il a été expulsé de la salle sous les quolibets et les injures. Deux hommes seulement l'applaudissaient à tout rompre : son garde-chasse et son valet de chambre. Comme j'essayais de le consoler à la sortie, il a soupiré gravement en remettant en forme son chapeau melon cabossé :
- La France court à l'abîme et ce sont ceux qui essaient de la retenir par le pan de sa chemise qui sont hués... "Oculos habent et non videbunt !"
Le marquis, trois semaines plus tard, obtenait dix-sept voix aux élections !
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