Les noces du beau et de l'utile
Toute ma carrière de commissaire- priseur, je l'ai passée à mesurer la beauté à cette aune. Le vendeur attendait de moi que je transforme son objet en bel et bon argent utilidable à d'autres fins, tandis que l'acheteur était disposé à employer de l'argent pour le métamorpher en objet.J'étais l'alchimiste de ce perpétuel va-et- vient entre le beau et ce qu"on appelle les disponibilités, artisan d'un alliage où entraient le désir, le calcul, la subjectivité de l'esthétique et la réalité des finances.
Tel portrait familial peut bien trôner des siècles durant sur le mur d'un salon, n'ayant d'autre emploi que d'être regardé, pareil à la Belle au bois dormant, il suffit qu'un héritier décroche le tableau et qu'il trouve oreneur aux enchères pour qu'il remplisse son offre d'utilité, converti en sous qui serviront, qui sait, à acquérir une autre oeuvre d'art.
( Folio, 1999, p.238)