Je défends la mémoire des harkis.
Au début de l'année suivante, quelques jours après cet attentat, une autre mauvaise nouvelle alourdit encore l'atmosphère et ajouta au pessimisme ambiant: l'écrivain Albert Camus venait de se tuer dans un accident de voiture en métropole. Il était né à Mondovi, dans la région de Constantine, et les Pujol avaient eu l'occasion de le rencontrer. Tous les pieds-noirs vécurent cette disparition comme un deuil personnel. Beaucoup connaissaient ses livres et Charles, qui les avait tous lus, en discutait souvent avec Olivier.
Il comptait parmi ces Européens modérés qui considéraient ce Prix Nobel de littérature comme un avocat de leur cause. Ne souhaitait-il pas comme eux l'avènement d'une Algérie faite de peuples fédérésn associés à la France?
Cette mort accentua encore leur sentiment d'abandon.
Cette guerre était-elle d'un autre âge? Il n'y avait pas de colons dans la région d'Aïn Saada - rien que des Arabes. Les combats se déroulaient entre musulmans profrançais et antifrançais. Ces positionnements politiques masquaient souvent des antagonismes ancestraux, des haines familiales recuites, des luttes de clans.
L’Algérie, pensait-il, possédait des richesses agricoles, énergétiques et touristiques, un haut niveau d’infrastructures et une main-d’œuvre de qualité. Ce potentiel économique l’autorisait à mettre ses espoirs dans une paix retrouvée.
Un khalouf, mon lieutenant.
Un cochon, un sanglier… Un animal inoffensif.
Le danger, c’est la rencontre avec un groupe de fellaghas. Mais c’est aussi, parfois, l’unité amie qui a dévié de sa route sans s’en rendre compte. Elle s’est détournée du trajet prévu pour sa mise en place, et se retrouve soudain en face de vous. Ces méprises ne sont pas rares. Combien de blessés ont-elles fait ? Combien même y ont laissé la vie ?
Pour la première fois, il s’interroge sur sa relation avec Marie-Ange. Avant son départ pour le service militaire, il songeait à l’épouser. Elle lui inspire toujours un fort désir physique. Privé de femme depuis plusieurs mois, il a souvent fantasmé sur son corps ferme et brun de Méditerranéenne. Pourtant le sentiment qui les a unis est en train de se distendre. Et c’est de son fait à lui.
Les métropolitains lui apparaissent comme des gens repus qui refusent de savoir ce qui se passe de l’autre côté de la Méditerranée. Ils rêvent de se débarrasser du fardeau algérien, de trouver vite une solution à cette épine dans le pied de leur confort. Mais quelle solution ? L’Algérie française, la France de Dunkerque à Tamanrasset ? Un leurre !
Les Algériens se haïssent parce qu’ils se connaissent trop ; et la guerre, cet alibi, leur offre la possibilité de vider leurs contentieux anciens. Ils sont violents comme l’est cette terre d’Afrique ! Philippe a essayé de comprendre leurs motivations, de démêler les fils de cet écheveau. Il aurait voulu trouver dans leurs comportements un semblant de logique.
Il avait ses défauts mais il était honnête. Et non sans mal, il s’efforçait d’analyser son évolution d’un œil impartial.
Pour lui, guerre rimait avec amputation, ce qui lui laissait peu de chances de devenir militariste.
C’est un chef droit et loyal, un professionnel. Il garde dans l’œil et dans la voix la chaleur de son Sud-Ouest natal. Philippe et lui s’apprécient. Et les rapports humains sont plus simples et plus chaleureux au combat que dans les casernes et les états-majors !