C’est toujours troublant de sentir ses prunelles chaleureuses se relever sur moi, à chaque fois, mon cœur s’affole. Elles me rappellent tant celles qui me caressaient autrefois. Ma gorge se serre, j’ai préféré éviter ce sujet douloureux avec mon patient.
Il me souffle que mes filles ne profiteront plus de la douceur d’un père aimant comme lui. Comme Marco… Et cette fois, c’est le pas un peu plus lourd que je retourne vers le salon.
Mon cœur s’affole, je ne sais plus où je suis. Un truc vrille dans mes tripes, tant je suis frappée par la malice de ses prunelles marron doré qui me transpercent. Je n’en ai jamais vu de semblables. La chaleur qui me submerge témoigne du rougissement qui colore mes joues. Rapidement, je me détourne et n’ose plus observer les sportifs, persuadée qu’un néon fluo clignote au-dessus de mon crâne.
La Grosse Pomme est un symbole. Beaucoup en rêvent, peu aboutissent à cette réalité. Moi, le rebeu des quartiers populaires, j’y suis parvenu. J’ai travaillé d’arrache-pied, sacrifiant l’insouciance de ma jeunesse, mais je n’ai jamais regretté mes choix. Je voulais être quelqu’un qui compte, défoncer chaque obstacle et surtout, avoir l’opportunité de choisir ma direction.
Je parviens à subir en silence ses agressions olfactives, mais j’ai plus de mal avec ses propos belliqueux, racistes et intolérants. Elle est l’archétype de la fausse dévote qui passe tous ses dimanches à la messe et oublie ses préceptes religieux sitôt le parvis de l’église franchi. D’ordinaire, je ne m’en formalise pas et me contente de grincer des dents.
Elle sursaute, quand son regard capte le mien, elle vire écarlate. Je ne saurais dire pourquoi, mais cette réaction me chamboule. Cette fille dégage à la fois force et fragilité. Ce paradoxe me donne envie de gratter pour découvrir ce qui se cache sous ces prunelles splendides. Elles me subjuguent, d’un bleu si intense, j’en ai rarement vu de semblables.
J’ai reconnu ce besoin d’exister, cette nécessité cachée, pourtant si forte, de s’affirmer. C’était magnifique. Il était magnifique. Ce fragment d’âme qu’il m’a laissé entrevoir m’a subjuguée,m’a révélée aussi. Il ne le saura sans doute jamais, mais il m’a insufflé une force nouvelle. Je ne retiendrai plus ces braises qui courent dans mes veines.
Mon métier ne tolère pas de négligences, aussi, je le pratique avec la plus grande méticulosité. Être infirmière libérale n’était pas ma vocation première, même si j’apprécie prendre soin des autres. Certaines rencontres donnent le sourire, d’autres bouleversent,toutefois, elles m’ancrent dans la réalité. Et j’ai besoin de me sentir utile.
À quoi bon lutter ? Ma raison s’est envolée, elle s’étiole dans ces illusions inassouvies. Il me contourne et se place derrière moi. Ma tête tourne, je ne sais plus ce qui m’entoure. Il ne reste que l’effervescence de mes frissons quand il se plaque contre moi. Une fois encore, je ferme les yeux et le laisse m’emporter.
Je suis fière d’être la fille d’un homme si intègre. Toutefois, ses emportements ne le rendent pas très pédagogue et ont tendance à me bloquer. Aussi, la perspective de révisions en sa présence me noue la gorge, car je sais que ce sera un calvaire. Une longue séance de torture rehaussée à la sauce brimade et gueulante.