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Bibliographie de Maxime Boucheron   (1)Voir plus

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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
Au nombre de ces diseurs de mauvais riens, réunis là, chaque soir, nous retrouvons Gaston d'Uriel et Léon Tavel, très entourés et fort estimés à cause de leur situation officielle dans les bureaux de l'État.
C'était, du reste, une assemblée fort mêlée que celle de ces hommes de tous âges, de toutes positions sociales, attendant qu'on annonçât le dîner. Il y avait des personnages connus, estimés, possesseurs de fortunes honorables, porteurs de titres nobiliaires authentiques, où s'étant conquis une notoriété enviable dans les lettres, les arts, les sciences, le barreau, les affaires. Il y avait aussi des individus suspects ou tarés, des boursiers honoraires, des journalistes méconnus, des artistes ignorés dont les moyens d'existence semblaient plus que problématiques à l'observateur le plus indulgent.
Pourquoi cet étrange pêle-mêle social ?
Que faisaient constamment ces parfaits gentlemen, ces écrivains, ces avocats connus ou appréciés, ces notables commerçants, parmi ces déclassés, ces grecs, ces bas spéculateurs, ces pourchasseurs de louis et de pièces de cent sous ? N'y a-t-il donc plus à Paris des cercles corrects où les premiers puissent se réunir loin du répugnant contact des autres ?
Si, mais... On y joue moins gros jeu que dans ces maisons ouvertes à tous les aventuriers, à tous les rastaquouères. Or, le véritable joueur aime surtout à s'encanailler. La partie est moins sûre dans les tripots; on peut y être volé... Qu'importe ! Il joue pour jouer, quitte à s'attabler au baccarat avec des gens dont il ne voudrait pas pour palefreniers, toujours prêts à parodier à sa façon la femme de Sganarelle, en répondant à tout censeur :
- Et s'il me plaît d'être volé !...
Il faut reconnaître d'autre part que le cercle d'Athènes était tenu de façon à sauver les apparences. Local spacieux, installation splendide, service irréprochable, livrée nombreuse et empressée : tout y justifiait l'illusion de quelques naïfs petits bourgeois, admis comme par faveur et tout fiers de songer que, lorsqu'on les demandait chez eux, madame pouvait répondre tous les jours de cinq à sept :
- Mon mari est à "son cercle".
Ces bons naïfs pouvaient être heureux et fiers, en effet, lorsqu'on leur montrait, parmi leurs collègues du cercle, des personnalités comme celles-ci :
- Le comte de Saint-Rémy, se disant ancien diplomate, sans profession déterminée, mais faisant au jeu des différences de millionnaire.
- Guillaume Walther, journaliste bavarois, se disant autrichien et correspondant d'un grand journal de Vienne, n'ayant jamais comme on dit, les yeux ni les oreilles dans sa poche; le type de l'espion allemand, poli, obséquieux, serviable, vous déconcertant par son luxe d'humilité et se mêlant à toutes les conversations sous prétexte de parler de littérature française...
- Arthur Philibert, prétendu rentier, grand bellâtre sur le retour, avouant trente-neuf ans, ayant passé la cinquantaine, bretteur toujours prêt à raconter une histoire de duel entre la poire et le fromage, tout en brandissant son couteau à fruit d'un air belliqueux, se battant au plus injuste prix avec les clubmen en quête d'un brevet de courage et vendant ses coups d'épée : blessures peu dangereuses, guérison rapide, discrétion garantie.
- Paul Burnel, petit employé d'une grande compagnie d'assurances, passant ses soirées et souvent une partie de ses nuits à courir après une matérielle, un gain quotidien de vingt francs qu'à force de patience et de menues combinaisons, il finissait, à l'aide d'une mise de fonds légères, par réaliser; considérant le cercle comme un second bureau où il venait faire "des heures" au sortir de l'administration.
- Ludovic Chauvel, écrivain de valeur, tombé d'une situation honorable dans le parasitisme de cercles ouverts; viveur flétri, fatigué par les excès de débauche comme par les excès de travail, réduit à être aux crochets de l'industriel dont la commandite faisait vivre et prospérer la maison de jeu, trouvant là ses deux repas quotidiens, en même temps que quelque argent de poche; membre du comité de l'endroit, ainsi que d'autres vaincus de la vie parisienne.
- D'Ablincourt, officier démissionnaire; Canudet, ex-conseiller de préfecture;
Ormutz, réfugié carliste; Pimpernaud, secrétaire général de la société centrale d'archéologie; le vieux pianiste goutteux Amilcar, ancien petit virtuose prodige sous Louis-Philippe, etc... lesquels, sous la présidence d'un médecin célèbre, le docteur Delbück, joueur incorrigible, délaissé de sa clientèle, votaient tout ce que leur soumettait le gérant du cercle, l'homme qui subventionnait leurs existences, leur reste de prestige, leurs derniers plaisirs.
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Fontrailles, lisant sur cette physionomie ainsi qu'en un livre, avait bien discerné les phases morales successivement traversées par son auditeur. IL comprit aussi ce qu'étaient ses réflexions.
- Ce que je propose est fait pour vous tenter, dit-il, mais il entre un doute dans votre esprit...
- En effet, déclara Gabriel, résolu lui aussi à ne plus se gêner; et ce qui me préoccupe, c'est...
- C'est de savoir si je suis à même de tenir ma promesse, c'est ça ?
- Ma foi, oui !
- Eh bien ! Sachez que Fontrailles dispose de tous les moyens d'action, de toutes les influences. Sans aller bien loin, ce n'est pas peu de choses que de pénétrer comme je l'ai fait dans un bureau tel que le vôtre. Et cela, du jour au lendemain, sans titres, en dépit des traditions et du règlement ? Savez-vous qu'il fallait avoir le bras long ?... Du reste, mes ramifications s'étendent partout. Je dispose des consciences parce que j'ai collectionné les secrets et que l'argent ne me manque jamais : grand point essentiel ! Je puis même, à ce sujet, vous annoncer une grosse ouverture de crédit si vous acceptez mes offres. Ce serait à valoir sur notre entreprise matrimoniale : les affaires sont les affaires !... Soyez tranquille, je les traite largement ! Nous serions contents l'un de l'autre. Ce n'est pas tout : ma force encore, c'est que toujours, je puis marcher tête haute... Pas de fâcheux antécédents judiciaires. Ne vous y trompez pas, mon jeune ami, cela permet de traiter avec d'honnêtes gens ! Mais, surtout, n'ouvrez pas de gros yeux en me dévisageant... Je suis bien de mon temps... Le pouvoir exercé sur tant d'êtres de tous rangs, de tous calibres, je le dois à la connaissance approfondie de la vie à Paris... Fontrailles, sachez-le bien, n'a rien d'un chef de bande... Il n'est pas grand maître d'une confrérie mystérieuse... Non, c'est moins compliqué que cela. Ce ne serait plus de notre temps, et je n'ai pas les goûts assez romanesques pour tenter de rien faire revivre. C'est par la force des choses que l'intelligence et la résolution règnent et sudivisent Paris en une multitude de petits fiefs que des despotes occultes mènent à leur guise. Voyez autour de vous, dans la politique, le monde, la finance, les arts, les lettres, le commerce, l'industrie; partout vous trouverez un chef dont la puissance est d'autant plus solide que rien ne l'établit oficiellement, sinon l'ascendant de celui qui l'exerce.
- Mais alors, s'écria Gabriel, singulièrement intéressé, quel est le domaine soumis à votre influence ? Sur quels gens régnez-vous ainsi ?
- Ma foi ! répondit Fontrailles en souriant, si nous vivions encore à l'époque des dénominations pompeuses, je pourrais me faire appeler "le Roi des bonneteurs".
- Le bonneteurs ! Mais ce sont d'abominables filous !
- Pas plus que, jadis, les grands seigneurs qui corrigeaient la chance au jeu royal. D'ailleurs, il ne s'agit pas seulement de ces pauvres diables qui, pour attraper quelques louis, courent le risque d'être pincés en chemin de fer ou au Point-du-Jour... Non, le bonneteur existe partout, partout où l'on aime, partout où l'on rit, partout où l'on pleure, partout enfin où cette adresse, soit intellectuelle, soit physique, que les bourgeois appellent "la tricherie" peut s'exercer avec fruit, qu'il s'agisse d'un coeur à prendre, d'un héritage à capter, d'une influence à conquérir, d'u profit moral ou pécuniaire à détourner...
- Alors, vous réprouvez les moyens violents ?
- Autant que possible. Nous respectons la loi en tournant autour. Quant à notre arme, elle n'est pas aussi compromettante que le révolver, le couteau, le poison...
- C'est ?...
- L'habileté, tout simplement, ou pour mieux dire, le bonneteau appliqué en toutes circonstances... Arrière les vieux délits, les crimes d'autrefois !... Pourquoi voler, puisqu'il y a le jeu ? Pourquoi tuer, puisqu'on peut pousser les gens au suicide ? Pourquoi se compromettre par des faux, lorsqu'il est si facile d'extorquer les signatures authentiques ? Pourquoi, enfin, s'exposer à des désagréments avec la Justice de son pays, quand on peut y porter la tête haute et conserver, malgré tout, la réputation d'un honnête homme ?
On le voit, Fontrailles, jaugeant la valeur morale de son partenaire, ne se gênait guère dans son cynisme, ne faisait même pas à Gabriel, la politesse apparente de lui supposer le plus petit scrupule.
Le malheur est qu'il ne se trompait pas.
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