Mehdi Marion

Il existe d'ailleurs de nombreuses variantes de cette loi, basées sur le fait que toute catastrophe possible a une fâcheuse tendance à se produire. La plus connue est sans doute la loi de la tartine beurrée, selon laquelle « toute tartine beurrée livrée à elle-même tombera du côté beurré. » - Ça marche aussi avec de la confiture ou du miel, et c'est encore plus efficace si vous avez un tapis angora, ou de la moquette en dessous-. J'ai vu une explication bien plus rationnelle dans une émission de télé pour les gosses intellos, il se trouve qu'en fait la tartine beurrée tombe du mauvais côté, seulement parce qu'elle ne tombe pas d'assez haut.

Cette histoire est la mienne.
Elle commence dans le noir.
Et puis…
J'ouvre les yeux.
Je suis étourdi, mon réveil est aussi percutant que le choc soudain qui l'a précédé.
Je sens une odeur douce et sauvage de paille séchée. J'en ressens même le confort. Mon corps meurtri repose en fait sur un tas d'herbe jaunie.
Un objet métallique s'approche dangereusement de mes lèvres. D'un geste brusque de la main, je l'expédie dans les airs et redresse mon buste en reculant sur mes coudes.

Il est nature, il dit ce qu'il pense, il rote peut-être tout en prenant son cul pour une trompette, mais il sait ce qu'il est et ne se prend pas la tête.

Carrie c'était tout autre chose. Miss Première de la classe, la fille au regard désagréablement pénétrant, c'était elle. Tout en elle me plaisait, son allure de fausse fayotte en disait long, c'était une future chef d’entreprise à coup sûr. Je le lisais dans ses grands yeux noirs. Brune, lèvres brillantes et charnues, tailleur cintré sur des formes aguichantes. Chignon qui en aurait fait paraitre plus d’une autre ridicule, tenu par une baguette chinoise ornée d'un dragon argenté. Lunettes noires et discrètes mettant en valeur son regard déjà cerné par un léger coup de ricil. Petites taches de rousseur fines et parsemées.

Je ne suis pas un sauvage non plus. Je n'ai pas simplement eu d'atomes crochus avec qui que ce soit, et une fois les cours finis, je rentre systématiquement chez moi pour parfaire ma culture cinématographique. Je n'avais remarqué personne, sauf peut-être une fille de ma classe au regard désagréablement pénétrant, qui aurait pu avoir quelques points communs avec moi niveau culture littéraire. Pourtant, il y en avait pour tous les gouts dans ce bahut. Look, idées, idéaux, générations, la représentation parfaite de la culture ado. Je suis arrivé une bonne heure plus tard, trempé bien au-delà des os et de leur moelle.

- Alors, bande de pangolins ! Êtes-vous prêts à apprendre ?
- Oui Maître Phu !
- Très bien, très bien, annonce-t-il en caressant son menton pourvu d'une inexistante barbichette. Toi, là, avant que nous commencions, prends ce sac de riz (qu'il sort encore une fois de je ne sais où) et disperse-le en cercle tout autour de vous pour éloigner les tigres.

Notre stupéfaction ne dure que quelques secondes, le temps que la voix de Dracu, tout juste revenu de l'entraînement s'élève moqueuses :
- Pfff, tout le monde sait bien qu'il n'y a pas de tigres sur notre île, c'est n'importe quoi son truc.

Le maître, la lèvre inférieure à peine pincée, s'avance lentement vers lui. Son ample pantalon noir resserré sur ses pieds accentue sa démarche flottante, et si ses empreintes n'apparaissaient pas dans le sable derrière lui, je pourrais jurer qu'il ne touche pas le sol.

- Fils de margoulin ! S'il n'y en a pas de tigres sur l'île aux Serpents, c'est justement parce que j'y sème du ri ! Tu vois donc bien que cela fonctionne. L'autodéfense est basée sur le même principe, "prévention" et "préhension" en sont les maîtres mots. Les techniques que nous allons voir ne sont que des outils, à vous de savoir quand il sera nécessaire de vous en servir...ou non.

C'était complet, pas de lumière, la nuit dans une forêt aussi touffue que les aisselles d'un ours, avec une ombre qui s'enfonce devant moi et Shrek dans mon dos.

L'amour et l'amitié, c'est trop compliqué, surtout quand cela dure depuis la maternelle, alors après avoir flirté pendant de longues années, elle avait préféré qu'ils restent amis. Fumer ensemble, rire, partager les bons comme les mauvais moments... Chasser Goga... Même si elle avait perdu sa virginité avec un con, alors qu'elle la lui avait promise à lui. Même si elle avait de plus en plus souvent besoin de fumer cette drogue douce pour ne pas y penser. Même si...

Moralité, chaussettes trempées. Je sentais déjà le froid prendre prise sur mes orteils. Ils allaient s'engourdir. Ils devaient déjà être tout rouges et gonflés. Bouffis et moites, comme lorsque qu’on sort d'un bain chaud après y avoir séjourné une bonne heure avec un bon bouquin. Personne ne m'a vu ? C'est ce que je me suis empressé de me demander, en lorgnant tout autour de moi.

Il suffisait d'effleurer une branche pour qu'une de ses gouttes d'eau glacée, ainsi accumulées dans le creux d'une feuille, vienne glisser dans votre cou, provoquant à chaque fois une sorte de mini choc thermique.

C'est quoi ça, un sermon ? Ça commence comme à l'église !  C'est une putain de secte ! Une communauté secrète. On est donc là pour ça, une initiation ! On va faire quoi, s'entaillader amicalement les veines et mélanger nos sangs pour ne faire qu'un avec les esprits de la forêt ? Ou alors ils vont m'attacher à un arbre, comme Petit Gibus dans la guerre des boutons. M'enduire de miel et me laisser en offrande aux fauves noctambules. « Si j'avais su, j'aurais pas venu... »

« Rien n'est plus atroce que la torture quotidienne de la banalité... ». Pourtant nous en avons échangé beaucoup en nous restaurant. Et je ne savais toujours pas où nous allions, avec qui, et ce que nous allions y faire.

En plus d'être une prof, c'était un fantasme en chair et en seins pour tout adolescent mâle en pleine croissance. Elle n’avait pas que le nom d'une chienne celle-là !

De toute façon, c'est tout le temps comme ça, c'est cette putain de Loi de Murphy, quand ça va mal, ça va mal.
J’avais d'ailleurs lu un truc sur cette loi, pas plus tard qu'hier dans une vieille revue toute crevée de chez le dentiste, un Sciences et Vie ou un Maris Patch certainement offert par une vieille voisine pour distraire les patients de ce brave docteur, qui de toute façon n'ont rien d'autre à faire en attendant de se faire inspecter le râtelier.

Pour eux, le négoce est un jeu sadique, car il a ses limites ; un pirate qui n'a pas l'impression de remporter le marché se demande à quoi cela sert et fini souvent par abattre le négociateur avant de se servir tout seul.