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Citation de Jean48


Je me décompose lorsque je pénètre dans le vestibule. La canne de mon père est rangée à sa place. Il est donc rentré. Je sens dans mes veines monter une pression comme un bouchon de champagne près d’exploser. Je ne sais comment je vais affronter ses remontrances. Il y a encore quelques années, j’aurais pensé très fort que non ! Je ne veux pas être privée de dulce de leche pour le dessert... Dans ces moments-là, c’était bien cela que je craignais le plus. Et les heures de sermonnade. Bien avant encore, c’était son regard à lui, ses mots durs choisis sans tact mais avec soin, le même soin qui emballe un présent que l’on a mis des jours à chercher, oui, c’était cela qui me terrorisait vraiment. Cette peur nichée là quelque part dans l’estomac, qui déploie ses ailes et les secoue sauvagement jusqu’à envahir tout l’abdomen de plumes et de frissons. Elle avait un nom cette peur-là, elle s’appelait Dedécevoir. Dedécevoir était ma pire ennemie, lorsque j’étais petite. Je fermais les yeux très fort en espérant que la bêtise que je venais de faire allait aussitôt disparaître, que les paupières closes évaporeraient le réel en mauvais rêve et qu’au réveil tout ne serait plus que soulagement. Cela n’avait jamais bien fonctionné. À la longue, j’avais attaché, de toutes mes forces, les pattes du volatile – Dedécevoir – avec des lanières de corde et j’avais coupé ses ailes pour qu’il se tienne tranquille, étale, sans agiter sa noirceur contre toutes les parois de mon corps. Dedécevoir avait capitulé. Il était là mais ne me faisait plus trembler. Un animal de compagnie, en quelque sorte. L’ennui de ces confrontations paternelles avait alors changé de nature ; c’était de devoir attendre, moi, immobile, pendant que les aiguilles de l’horloge continuaient sans faillir leur marathon, que mon père ait fini son discours – quand
il n’avait pas assez échauffé sa voix en affaires ou en politique durant l’après-midi. Ou que, d’un mot, il me prive de dessert. Mais même Privéededessert j’avais réussi à la séquestrer, un peu plus tard. Ça m’a demandé des efforts. Mais elle ne m’a jamais picoré le foie et les viscères, comme l’autre bête l’avait fait auparavant, pendant des années.
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