CHAPITRE PREMIER
De très loin, il s'entendit crier d'une voix désespérée : "Où est le rêve, où est la réalité ?"
Aucune réponse ne vint. Une peur atroce l'étreignait. La panique et l'horreur l'avaient saisi. Il était perdu dans un infini de ténèbres, de terreur, de douleur, au-delà du temps, de l'espace, de la vie. Il avait été brisé dans un craquement sinistre, comme un os qui se casse, comme une dent qu'on arrache. Son corps, son âme, son esprit étaient maintenant séparés, isolés. L'infime partie de lui-même demeurée consciente se remit à crier quand d'ignobles monstres aux gueules tordues, aux mufles baveux se pressèrent autour de lui. Et un feu dévorant, et des éclairs de lumière et le vacarme d'énormes cymbales de cuivre. Torture de la chair arrachée, grillée par des pinces brûlantes.
Il regarda le désert irrespirable qui respirait. Perché sur une branche d'un arbre mort, un vautour dindon, la tête rouge déplumée et le bec tendu, le fixait des yeux comme Daniels.
- Sacarra, murmura Cowan. « Ce soir, sur la plage de Sacarra... » Il s'agissait d'un autre endroit : Samarra ! s'écria-t-il. Samarcande...
Tout à coup il se mit à parler distinctement avec une certitude tranquille.
- Aujourd'hui est mon dernier jour. Le dernier jour qui me reste à vivre...
La barbe hirsute, l'œil hagard, il leva les yeux et fixa le soleil rouge aveuglant dans le ciel surnaturel.