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Citation de Partemps


Poète français né à Clermont-Ferrand le 22 juin 1738, Jacques Delille, souvent appelé l'abbé Delille, est décédé à Paris le 2 mai 1813.

Les jardins ou L'art d'embellir les paysages (poème)


CHANT 1

Le doux printemps revient, et ranime à la fois
Les oiseaux, les zéphirs, et les fleurs, et ma voix.
Pour quel sujet nouveau dois-je monter ma lyre?
Ah! Lorsque d' un long deuil la terre enfin respire,
Dans les champs, dans les bois, sur les monts d' alentour,
Quand tout rit de bonheur, d' espérance et d' amour,
Qu' un autre ouvre aux grands noms les fastes de la gloire;
Sur un char foudroyant qu' il place la victoire;
Que la coupe d' Atrée ensanglante ses mains:
Flore a souri; ma voix va chanter les jardins.
Je dirai comment l' art, dans de frais paysages,
Dirige l' eau, les fleurs, les gazons, les ombrages.

Toi donc, qui, mariant la grace et la vigueur,
Sais du chant didactique animer la langueur,
Ô muse! Si jadis, dans les vers de Lucrèce,
Des austères leçons tu polis la rudesse;
Si par toi, sans flétrir le langage des dieux,
Son rival a chanté le soc laborieux;
Viens orner un sujet plus riche, plus fertile,
Dont le charme autrefois avoit tenté Virgile.
N' empruntons point ici d' ornement étranger;
Viens, de mes propres fleurs mon front va s' ombrager;
Et, comme un rayon pur colore un beau nuage,
Des couleurs du sujet je tiendrai mon langage.
L' art innocent et doux que célèbrent mes vers,
Remonte aux plus beaux jours de l' antique univers.
Dès que l' homme eut soumis les champs à la culture,
D' un heureux coin de terre il soigna la parure;
Et plus près de ses yeux il rangea sous ses loix
Des arbres favoris et des fleurs de son choix.
Du simple Alcinoüs le luxe encor rustique
Décoroit un verger. D' un art plus magnifique
Babylone éleva des jardins dans les airs.
Quand Rome au monde entier eut envoyé des fers,
Les vainqueurs, dans des parcs ornés par la victoire,
Alloient calmer leur foudre et reposer leur gloire.

La sagesse autrefois habitoit les jardins,
Et d' un air plus riant instruisoit les humains:
Et quand les dieux offroient un élysée aux sages,
Étoit-ce des palais? C' étoit de verds bocages;
C' étoit des prés fleuris, séjour des doux loisirs,
Où d' une longue paix ils goûtoient les plaisirs.
Ouvrons donc, il est temps, ma carrière nouvelle;
Philippe m' encourage, et mon sujet m' appelle.
Pour embellir les champs simples dans leurs attraits,
Gardez-vous d' insulter la nature à grands frais.
Ce noble emploi demande un artiste qui pense,
Prodigue de génie, et non pas de dépense.
Moins pompeux qu' élégant, moins décoré que beau,
Un jardin, à mes yeux, est un vaste tableau.
Soyez peintre. Les champs, leurs nuances sans nombre,
Les jets de la lumière, et les masses de l' ombre,
Les heures, les saisons, variant tour à tour
Le cercle de l' année et le cercle du jour,
Et des prés émaillés les riches broderies,
Et des rians côteaux les vertes draperies,
Les arbres, les rochers, et les eaux, et les fleurs,
Ce sont là vos pinceaux, vos toiles, vos couleurs;
La nature est à vous; et votre main féconde
Dispose, pour créer, des élémens du monde.

Mais avant de planter, avant que du terrein
Votre bêche imprudente ait entamé le sein,
Pour donner aux jardins une forme plus pure,
Observez, connoissez, imitez la nature.
N' avez-vous pas souvent, aux lieux infréquentés,
Rencontré tout-à-coup ces aspects enchantés
Qui suspendent vos pas, dont l' image chérie
Vous jette en une douce et longue rêverie?
Saisissez, s' il se peut, leurs traits les plus frappans,
Et des champs apprenez l' art de parer les champs.
Voyez aussi les lieux qu' un goût savant décore.
Dans ces tableaux choisis vous choisirez encore.
Dans sa pompe élégante admirez Chantilli,
De héros en héros, d' âge en âge embelli.
Beloeil, tout à la fois magnifique et champêtre,
Chanteloup, fier encor de l' exil de son maître,
Vous plairont tour-à-tour. Tel que ce frais bouton,
Timide avant-coureur de la belle saison,
L' aimable Tivoli, d' une forme nouvelle
Fit le premier en France entrevoir le modèle.

Les graces en riant dessinèrent Montreuil.
Maupertuis, le désert, Rincy, Limours, Auteuil,
Que dans vos frais sentiers doucement on s' égare!
L' ombre du grand Henri chérit encor Navarre.
Semblable à son auguste et jeune déité,
Trianon joint la grace avec la majesté.
Pour elle il s' embellit, et s' embellit par elle.
Et toi, d' un prince aimable ô l' asyle fidèle!
Dont le nom trop modeste est indigne de toi,
Lieu charmant! Offre lui tout ce que je lui doi,
Un fortuné loisir, une douce retraite.
Bienfaiteur de mes vers, ainsi que du poète,
C' est lui qui, dans ce choix d' écrivains enchanteurs,
Dans ce jardin paré de poétiques fleurs,
Daigne accueillir ma muse. Ainsi du sein de l' herbe
La violette croît auprès du lys superbe.
Compagnon inconnu de ces hommes fameux,
Ah! Si ma foible voix pouvoit chanter comme eux,
Je peindrois tes jardins, le dieu qui les habite,
Les arts et l' amitié qu' il y mène à sa suite.
Beau lieu! Fais son bonheur. Et moi, si quelque jour,
Grace à lui, j' embellis un champêtre séjour,
De mon illustre appui j' y placerai l' image.
De mes premières fleurs je veux qu' elle ait l' hommage:
Pour elle je cultive et j' enlace en festons
Le myrte et le laurier, tous deux chers aux Bourbons.
Et si l' ombre, la paix, la liberté m' inspire,
À l' auteur de ces dons je dévouerai ma lyre.
J' ai dit les lieux charmans que l' art peut imiter;
Mais il est des écueils que l' art doit éviter.
L' esprit imitateur trop souvent nous abuse.
Ne prêtez point au sol des beautés qu' il refuse:
Avant tout connoissez votre site; et du lieu
Adorez le génie, et consultez le dieu.
Ses loix impunément ne sont pas offensées.
Cependant moins hardi qu' étrange en ses pensées,
Tous les jours, dans les champs, un artiste sans goût
Change, mêle, déplace, et dénature tout;
Et, par l' absurde choix des beautés qu' il allie,
Revient gâter en France un site d' Italie.
Ce que votre terrein adopte avec plaisir,
Sachez le reconnoître, osez vous en saisir.
C' est mieux que la nature, et cependant c' est elle;
C' est un tableau parfait qui n' a point de modèle.

Ainsi savoient choisir les Berghems, les Poussins.
Voyez, étudiez leurs chefs-d' oeuvre divins:
Et ce qu' à la campagne emprunta la peinture,
Que l' art reconnoissant le rende à la nature.
Maintenant des terreins examinons le choix,
Et quels lieux se plairont à recevoir vos loix.
Il fut un temps funeste où, tourmentant la terre,
Aux sites les plus beaux l' art déclaroit la guerre,
Et, comblant les vallons et rasant les côteaux,
D' un sol heureux formoit d' insipides plateaux.
Par un contraire abus l' art, tyran des campagnes,
Aujourd' hui veut créer des vallons, des montagnes.
Évitez ces excès. Vos soins infructueux
Vainement combattroient un terrein montueux;
Et dans un sol égal, un humble monticule
Veut être pittoresque, et n' est que ridicule.
Désirez-vous un lieu propice à vos travaux?
Loin des champs trop unis, de monts trop inégaux,
J' aimerois ces hauteurs où sans orgueil domine
Sur un riche vallon une belle colline.
Là, le terrein est doux sans insipidité,
Élevé sans roideur, sec sans aridité,
Vous marchez: l' horizon vous obéit. La terre
S' élève ou redescend, s' étend ou se resserre.

Vos sites, vos plaisirs changent à chaque pas.
Qu' un obscur arpenteur, armé de son compas,
Au fond d' un cabinet, d' un jardin symmétrique
Confie au froid papier le plan géométrique;
Vous, venez sur les lieux. Là, le crayon en main,
Dessinez ces aspects, ces côteaux, ce lointain;
Devinez les moyens, pressentez les obstacles:
C' est des difficultés que naissent les miracles.
Le sol le plus ingrat connoîtra la beauté.
Est-il nu? Que des bois parent sa nudité.
Couvert? Portez la hache en ces forêts profondes:
Humide? En lacs pompeux, en rivières fécondes
Changez cette onde impure; et, par d' heureux travaux,
Corrigez à la fois l' air, la terre et les eaux:
Aride enfin? Cherchez, sondez, fouillez encore:
L' eau, lente à se trahir, peut-être est près d' éclore.
Ainsi d' un long effort moi-même rebuté,
Quand j' ai d' un froid détail maudit l' aridité,
Soudain un trait heureux jaillit d' un fond stérile,
Et mon vers ranimé coule enfin plus facile.

Il est des soins plus doux, un art plus enchanteur.
C' est peu de charmer l' oeil, il faut parler au coeur.
Avez-vous donc connu ces rapports invisibles
Des corps inanimés et des êtres sensibles?
Avez-vous entendu des eaux, des prés, des bois,
La muette éloquence et la secrette voix?
Rendez-nous ces effets. Que du riant au sombre,
Du noble au gracieux, les passages sans nombre
M' intéressent toujours. Simple et grand, fort et doux,
Unissez tous les tons pour plaire à tous les goûts.
Là, que le peintre vienne enrichir sa palette;
Que l' inspiration y trouble le poète;
Que le sage, du calme y goûte les douceurs;
L' heureux, ses souvenirs; le malheureux, ses pleurs.
Mais l' audace est commune, et le bon sens est rare.
Au lieu d' être piquant, souvent on est bizarre.
Gardez que, mal unis, ces effets différens
Ne forment qu' un chaos de traits incohérens:
Les contradictions ne sont pas des contrastes.
D' ailleurs, à ces tableaux il faut des toiles vastes.
N' allez pas resserrer dans des cadres étroits
Des rivières, des lacs, des montagnes, des bois.
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