Michel Rouveure

« Because the sky is blue, it makes me cry » des Beatles tournait en boucle dans sa tête. Non pas qu’il fût triste, mais il avait le sentiment que si un ciel lourd et bas écrase les êtres et les intériorise dans un écho réflexif, un ciel léger et immaculé les élève et les expanse dans l’irrationnel. Il était donc en expansion de lui-même, gonflé d’une langueur aussi aérienne qu’infinie.

Puisque Clara voulait être la passagère de son passé, les oueds de sa voix allaient accrocher aux méandres de ses souvenirs des buissons épineux teintés de sables rouges dont il allait stopper la course folle…

Il se réjouissait d’être idéaliste et de penser que chaque individu portait en lui la force d’une vraie richesse : celle de se détacher du matériel pour s’ouvrir aux vraies nécessités de la vie. A la profusion des enchantements qui nous sont généreusement donnés par celle-ci, sans attente d’aucun retour. Car si certains plaisirs peuvent se monnayer, le bonheur ne s’achète jamais. Dès lors, il souhaitait à chacun de pouvoir vivre de sa propre production et de manger à satiété sans être obligé de vendre sa force de travail. De boire l’eau de son puits et de se réjouir de son abondante fraicheur, de sentir les fleurs qu’il n’avait pas cultivées, de se coucher dans la vague ondulante d’un coteau d’herbes sauvages et de recevoir sur sa peau nue le souffle du vent comme une caresse divine.
Ces images prégnantes lui rappelaient son désir, maintes fois repoussé, de tout abandonner pour connaître une autre manière d’exister. Seuls les êtres qu’il aimait l’avaient retenu au port. Pour eux, il s’était résolu à ne pas disparaître à l’horizon, à ne pas se fondre dans des foules bigarrées, à ne pas se dissoudre dans la terre d’une lointaine contrée.

Paul ne put dissimuler la larme qui accompagnait ses pensées. Mathilde s’était tue et l’avait laissé cheminer. Ses yeux l’avaient accompagné sur les routes ensoleillées d’une éternelle jeunesse. Elle avait tendu le bras vers le couchant : « la vérité est au-delà des montagnes, pour la trouver il faut voyager. » Son voyage serait finalement un voyage immobile. Il verrait les autres filer autour de lui en direction des lumières fuyantes et ignorer la profondeur des ombres.

Clara profite de l’absence de son voisin pour prendre un bain. Son chat Pépite l’observe et la réalité s’estompe peu à peu. Extrait :
« Elle imagina que le chat noir, intrigué par le subtil clapotis, avait sauté sur son ventre émergé pour lui conter fleurette. Le cat faisait d’elle île délicate et d’essaims en îlots ses dunes dénudées. L’accostage amical d’un pirate endiablé de parties d’abordages et de côtes en naufrage sombra sa nudité dans d’étranges nuées... »

A ce moment, Paul se redresse sur son fauteuil. Il a un petit sourire qu’elle connait bien et qui sous-entend une malice. Parodiant Malraux, Paul lance d’une voix grave et solennelle :
– Entre ici David Lean avec ton terrible cortège… Rejoins tes frères : Fritz Lang, Herman Mankiewicz, Alfred Hitchcock, Martin Scorsese. Robert Mitchum, Edward G. Robinson, Al Pacino, Robert De Niro n’attendaient que toi !
– Tu enterres les gens un peu vite…
– Je délire un peu. Ce doit être le bon vin. En réalité, les grands acteurs ne meurent jamais...

C’est ainsi que se transmettent les histoires de famille. La vérité n’est qu’un aléa sans importance. Seuls comptent la dynamique du récit et le souffle du vent.

Clara profite de l’absence de son voisin Paul pour prendre un bain. Son chat Pépite l’observe et la réalité s’estompe peu à peu. Extrait :
« Elle imagina que le chat noir, intrigué par le subtil clapotis, avait sauté sur son ventre émergé pour lui conter fleurette. Le cat faisait d’elle île délicate et d’essaims en îlots ses dunes dénudées. L’accostage amical d’un pirate endiablé de parties d’abordages et de côtes en naufrage sombra sa nudité dans d’étranges nuées... »