Michèle Blondel

Il dit :
"Jusqu'à l'âge de sept ans je n'ai pas parlé.
Muet."

Il dit :
"Je ne pouvais même pas dire Maman.
Quelle douleur c'est."

Il dit:
"Je la vois. C'est la guerre.
Ma mère se donne au boucher derrière le comptoir pour que je mange de la viande."

Derrière l'écran de ma peinture où j'invite chacun à se projeter, je m'abrite de la cruauté du regard de l'autre par crainte qu'il ne condamne mes visions.

Ainsi je suis clandestine.

Et despote.

Je vais jusqu'à l'absolu du blanc.

A l'excès.

Toute la toile résonne, mate et plate comme une limande séchée de farine.

Je m'épanouis et en conséquence, je réduis ce que je fais à une infinie contraction.
J'approche le zéro.

À l'atelier, je prolonge le désert et les plaines de sel.

J'abandonne les glissades de la pointe de feutre et les virgules de l'encre.

J'abandonne les débordements des marées d'équinoxe.
Je change de saison.
Je change d'outil.

Je choisis le bec serré du tire-ligne.
Au goutte à goutte je me remplis d'une gouache liquide et, somnambule je tire des traits.

Dans leur vide je m'installe.

Il y a longtemps que je suis invisible, qu'en marge je m'évanouis dans le blanc de la page.

Il y a longtemps que je ne sais pas qui je suis.

Depuis l'enfance,

je choisis l'isolement comme exaltation de mes sortilèges.
À me couler dans mon propre oesophage, je pourrais me noyer. C'est pourtant là que je nais.
Je m'écarte.
Je vois
et j'oublie pour voir au-delà.

Les parallèles se rencontrent.

Leur mécanique s'organise en points de vue flottants sans lien aucun avec le réel.

Perdue au centre de leur croix je me souviens de la misère.
Je rougis des humiliations qui m'ont tordu le cou.

La peur m'entraîne dans sa profondeur souterraine et de nouveau je barbote dans les souillures antérieures.

Les chevilles moisies par la fange du souvenir, j'essaie de lutter contre l'humidité.

Mon corps est un buvard.
Je le farcis de mèches gloutonnes que je noue en des épissures fragiles.

Ainsi curée, au goutte à goutte je me libère des boursouflures.
Ma main reste sèche et je regarde le ciel.
Je construis des contre-plongées divaguantes. Sous elles, je me raccourcis.
Je reste petite, rescapée de la malédiction.