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Citation de PATissot


Le 21 juin, tout s'envenime. Philippe et Romont s'emparent brusquement d'Amédée IX qui tient à peine à cheval, le séparent de son épouse et de ses domestiques, pour le conduire en captivité à Chambéry. Ils font aussi prisonniers Montbel et Montmayeur. Yolande, qui doit subir le même sort, se déclare au matin incapable de poser un pied à terre, pliée en deux par des vomissements de peur. La violence, même verbale, la terrorise. Janus, qui a rejoint ses deux frères sur le tard, accepte de différer le départ de sa belle-soeur, dont il se chargera personnellement.
Yolande a réfléchi :
- Je suis l'ancre qui retient la barque qui dérive au rocher. Il faut gagner du temps.
Le lendemain, elle fait savoir à Janus qu'elle accepte de regagner Chambéry avec ses enfants, à conditions de pouvoir faire ses dévotions au couvent de Notre-Dame de Myans.
La nuit a porté conseil. Yolande n'est pas restée inactive, envoyant d'Orlyé à Jean, bâtard d'Armagnac et comte de Comminges, le gouverneur du Dauphiné, et Hugonin de Montfort, seigneur de Flaxieu, vers le roi, solliciter leur aide. La duchesse ne se laissera pas enfermer sans résistance au château de la pire aventure. Elle dépêche son majordome et la brigade de cuisine au château de Chambéry sous prétexte de préparer la collation de réconciliation qui devrait réunir les frères ennemis. À la faveur de l'agitation ambiante, Claude d'Ambel saute sur son cheval pour mettre en alerte les troupes dauphinoises massées à la frontière, non loin des Marches, et Anthelme de Miolans pour qu'il prépare l'arrivée de la duchesse au château d'Apremont, chez Jacques de Montmayeur.
À peine prosternée aux pieds de la Vierge noire de Myans, la Dame qui arrêta l'éboulement du Mont-Granier en 1248, Yolande la supplie humblement :
- Glorieuse Vierge Marie, mère de Dieu et ma dame maîtresse, moi, Yolande de France, misérable pécheresse et votre esclave, je confesse et vous promets par la foi que je dois à Dieu et à vous, de me donner à vous corps et âme, et je vous baille toute la seigneurerie et mes enfants, et le pays, et toute la justice et puissance qu'elle a en ce monde à votre gouvernement. Je m'en démets et vous les remets, et vous supplie que veuillez les garder de leurs ennemis et de tout ce qui leur pourrait nuire, et aussi me veuillez garder de l'Ennemi et de sa puissance à l'heure de la mort, car j'y renonce, et au monde aussi. Et si, par humaine fragilité, ma personne tombait en péché, qu'à l'heure de ma mort il ne puisse rien me demander, car toute ma vie, je t'ai fait hommage et suis ton esclave. En témoignage de cet hommage, je dis tous les jours quinze Ave Maria. Je l'écrirai de ma main et le scellerai de mon sceau.
Puis elle s'effondre inanimée sur le dallage de la chapelle. On la ranime et la conduit sur sa demande au château le plus proche, Apremont, justement, pour qu'elle puisse s'y reposer avec ses enfants.
Encore dolente, Yolande réclame son dernier-né, lui ôte son bonnet de soie blanche, effleure doucement des lèvres le fin duvet blond de Jacques-Louis, lui caresse la joue du bout des doigts et le rend à la nourrice, une larme perlant à ses yeux, disant :
- Veillez sur cet enfançon comme sur la prunelle de vos yeux, je vous en conjure.
Elle refuse de recevoir son beau-frère Jean-Louis qui demandait à la rencontrer, exige de gagner la terrasse qui domine le torrent, cueille distraitement une grappe de cytise à la tonnelle. Le soir tombe sur le jardin clos fleuri d'ancolies où s'effeuillent des roses. Son regard se pose sur le massif de Belledonne dont la brume du soir estompe les contours. Allons, il fera beau demain, ce signe ne trompe jamais. La brise retrousse les feuilles des alisiers. Les buttes herbeuses des abîmes de Myans font le gros dos entre les plants de vigne. Ici et là des roches grises rappellent l'éboulement monstrueux de la montagne du Granier. Un fil de fumée monte des chaumières basses. La duchesse soupire, pense aux familles de paysans paisiblement réunies autour du chaudron de soupe. La lune s'est levée, on l'a laissée seule après qu'un page lui eut soufflé à l'oreille que Comminges était arrivé à La Buissière, rejoignant un parti armé conduit par Châteauneuf, maréchal du Dauphiné.
Yolande se décide à emprunter l'escalier secret qui aboutit aux douves, révélé par Montmayeur. À la lueur d'une maigre chandelle de suif, sourcils froncés, la duchesse descend avec précaution les marches humides taillées dans le roc, croyant voir un espion dans chaque ombre, entendre une voix hostile dans chaque murmure. De peur, ses cheveux lui tirent la peau du crâne. Elle clopine en marmonnant entre ses dents, une habitude qui a le don d'énerver Amédée.
- Me voici réduite à fuir devant mes beaux-frères, à abandonner mon malheureux époux, mes enfants. Mais si je veux conserver l'intégrité du duché, éviter une guerre civile, je ne peux que me réfugier en terre française avec mes conseillers et attendre en Dauphiné des renforts armés. Inutile d'appeler Sforza à mon secours, il me le ferait payer de manière ou d'autre. Je fais ce que je dois et je suis sûre de faire ce que je dois.
Ses bottes glissent, elle se retient avec dégoût aux parois gluantes. Elle parvient tremblante au fond des douves asséchées. Pourvu que l'on ne se soit pas aperçu de son absence prolongée ! Il faut maintenant trouver le souterrain qui la mènera à la liberté. Le voici. Quand elle émerge enfin dans des fourrés épineux, échevelée, déchirée, il n'y a personne en vue. Le coeur de Yolande s'affole, en outre elle se sent ridicule. . . Où sont passés les hommes de l'escorte promise par Comminges ?
Minuit sonne au clocher d'Apremont.
- Madame. . .
Une petite troupe silencieuse, fantomatique, guettait, tapie dans l'obscurité, les sabots des chevaux enveloppés de chiffons, arbalètes et épées serrées dans des sacs de toile afin d'étouffer martèlements et cliquetis.
- Je suis la duchesse de Savoie, dit Yolande dont la voix a retrouvé sa fermeté.
- Venez, Madame, il nous faut partir sans délai.
- Mes enfants ?
- Personne n'osera les toucher. Vite, Madame, monseigneur de Comminges et le maréchal du Dauphiné nous attendent en terre française, au château de la Buissière, à trois lieues d'ici. Vite, avant que vos geôliers ne s'aperçoivent de votre fuite.
- Merci.
- De la Buissière où nous passerons la nuit, nous gagnerons Grenoble. Votre Seigneurerie y sera reçue avec les plus grands honneurs, comme la propre personne du roi.
On jette une cape de bure sombre sur les épaules de la duchesse de Savoie. La troupe se met aussitôt en marche à travers les vignes, au long des coteaux qui dominent l'Isère vagabonde. Hors de vue d'Apremont, on se guide aux flambeaux dont la lueur irisée troue l'obscurité naissante de ce beau soir de juin. Un sentiment de paix s'empare de Yolande.
- Sans moi, qui détiens le gouvernement légitime du pays, ni le duc ni ses frères ne pourront rien décider. Je resterai éloignée le temps nécessaire. Il faut donner du temps au temps et négocier.
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