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Citation de Charybde2


À cet instant, la salle s’obscurcit, et commence le prologue dans le cimetière du monastère. Lempicka attend avec impatience de voir apparaître sur scène son amant Disteli. Ce soir il interprète le rôle principal. Pendant la représentation, elle remarque les gestes de magie auxquels Disteli a recours : discrètement il embrasse l’ongle de son pouce et serre un bouton de son habit doré. Il chante en italien. Elle ressent sur sa peau à quel point Disteli est envié et haï par ses collègues à l’opéra. Elle sait parfaitement distinguer les couleurs de ces haines différentes et se dit avec horreur qu’on ne peut pas plus échapper à la haine qu’à l’eau dans ses chaussures.
À la fin de la représentation, le public réclame à plusieurs reprises l’apparition du chanteur devant le rideau, mais Disteli ne se montre pas et elle se rend dans sa loge. C’est une pièce luxueuse avec, devant la glace, sa statue de bronze dans le rôle de Falstaff, un récamier où se prélasse le lévrier, et une énorme salle de bain en cobalt avec, devant la baignoire, un salon Louis XVI. Visiblement fatigué et écroulé dans un fauteuil, Disteli, à moitié déshabillé, a devant lui sur la table un verre de whisky Chivas Regal et une flûte de champagne Moët. Il a enlevé à moitié son costume royal de Boris Godounov et mis à moitié ses vêtements habituels.
Madame Lempicka arrive en trombe dans la loge, le lévrier sursaute, se redresse sur ses pattes arrière et l’embrasse sur la bouche. Il la dépasse d’une tête. Lempicka crie :
– Arrête, Tamazar, ça suffit !
Elle boit une gorgée de whisky, s’assoit sur les genoux de Disteli et, d’un baiser, reverse le whisky de sa bouche dans la sienne.
– Tu étais brillant, chuchote-t-elle, mais ne reste pas comme ça à moitié vêtu. Le diable attaque l’homme lorsqu’il le trouve à la frontière.
– Quelle frontière ? réplique distraitement Disteli.
– N’importe laquelle : celle entre la lumière et l’obscurité, entre le jour et la nuit, un pied ailleurs, l’autre pied chez soi. Tu as l’air fatigué… C’est si difficile que cela de chanter ?
– Ce n’est pas un problème, de chanter. Je n’aime pas ce rôle. De plus, j’ai mal dormi la nuit dernière et, il y a quelques jours, on a essayé de me cambrioler. On s’est introduit dans mon appartement.
– Tu as fait une déclaration à la police ?
– Non.
– Non ? Comment ça ?
– On a conclu un accord.
– Nom de Dieu, comment peux-tu conclure un accord avec un cambrioleur ?
– Il ne l’est peut-être pas. Peut-être qu’il voulait seulement avoir un objet à moi. Pour me dédommager, il m’a donné un numéro de téléphone. C’est le numéro d’un vendeur d’avenir.
– Et tu as l’intention de consulter ce charlatan ?
– Pourquoi tu t’y intéresses ?
– Parce que tu as une mine épouvantable. Je ne t’ai jamais vu comme ça.
– C’est à cause de mes cauchemars. Ca fait deux fois que je rêve de Pouchkine par épisodes.
– Moi aussi je rêverais de Pouchkine si je m’occupais à ce point de Moussorgski, de Boris Godounov et des créatures de Pouchkine. Laisse tomber tout cela, repose-toi, je vais te faire des câlins.
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