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Citation de mimo26


La vie de Muna s’améliora le jour où le plus jeune fils de M. et Mme Songoli ne rentra pas de l’école. Pas sur le coup. Sur le coup, elle éprouva une grande peur quand Yetunde Songoli pleura, hurla et lui donna des coups de badine parce que le petit garçon de dix ans n’était pas dans sa chambre. M. Songoli mit fin à la punition. Sois raisonnable, ordonna-t-il à sa femme. La police posera des questions si elle remarque qu’elle a les bras couverts de bleus.

Peu après, Yetunde installa Muna dans une chambre avec un lit et une fenêtre. Elle lui fit enfiler une robe aux couleurs vives et noua des rubans assortis dans ses cheveux sans cesser de lui cracher qu’elle était une sorcière et un démon. Muna avait dû leur jeter un sort. Sinon, pourquoi Abiola n’était pas rentré ?

Restée seule, Muna examina son reflet dans le miroir mural. Était-ce ce que M. Songoli avait en tête lorsqu’il avait conseillé à sa femme d’être « raisonnable » ? De la faire belle, elle, Muna ? Elle n’y comprenait rien. Au bout d’un moment qui lui parut interminable, elle entendit des voitures s’arrêter le long du trottoir, la sonnette carillonner et des voix inconnues parler dans l’entrée. Elle se serait tapie dans un coin obscur si Yetunde ne lui avait pas donné l’ordre de s’asseoir sur le lit. C’était inconfortable – il fallait rester droite, ce qui lui faisait mal au dos – mais elle ne bougea pas. L’immobilité était devenue son amie au fil des années. Elle lui permettait de passer inaperçue.

Elle commençait à espérer qu’on l’avait oubliée quand elle entendit quelqu’un monter l’escalier. Elle identifia la démarche pesante de Yetunde Songoli, mais ne reconnaissait pas les pas plus légers qui la suivaient. Elle tourna un regard impassible vers la porte, qui s’ouvrit sur le grand corps bouffi de Yetunde et sur la silhouette svelte d’une Blanche vêtue d’une chemise et d’un pantalon. Muna l’aurait prise pour un homme si sa voix, quand elle parla, n’avait pas été aussi douce.

Yetunde s’assit sur le lit et passa affectueusement le bras autour de la taille de Muna. Elle était si lourde que le matelas s’affaissa et que Muna bascula contre elle. Elle était trop menue pour faire contrepoids. Ne lui montre pas que tu as peur, l’avisa Yetunde en haoussa. Souris à cette policière quand elle te sourit et parle quand je te poserai des questions. Peu importe ce que tu dis. C’est une Anglaise blanche, elle ne comprend pas le haoussa.

Souris. Muna fit de son mieux pour reproduire la tendre inflexion des lèvres de la Blanche, mais elle n’avait plus fait cela depuis si longtemps que sa mimique était contrainte. Parle. Elle ouvrit la bouche et remua la langue, mais aucun son ne sortit. Elle avait trop peur pour articuler tout haut les mots qu’elle s’entraînait à chuchoter toutes les nuits. Yetunde serait convaincue qu’elle était possédée par des démons si elle prononçait une phrase en anglais.

— Quel âge a-t-elle ? demanda la Blanche.

Yetunde caressa la main de Muna.

— Quatorze ans. C’est mon aînée, mais son cerveau a été endommagé à la naissance et elle a des difficultés d’apprentissage. – Des larmes roulèrent sur ses grosses joues. – Ce malheur ne suffisait-il donc pas ? Fallait-il encore que je perde mon petit Abiola chéri ?

— Il n’y a aucune raison d’envisager le pire pour l’instant, madame Songoli. Il arrive que les petits garçons de dix ans fassent l’école buissonnière. Il est probablement chez un camarade.

— Il n’a jamais fait ça. L’école aurait dû appeler mon mari à son bureau puisqu’elle n’est pas arrivée à me joindre. Les frais de scolarité sont assez élevés. Se contenter de laisser un message sur le répondeur… Comment peut-on être aussi irresponsable !

La Blanche s’accroupit pour se mettre au niveau de Muna.

— Vous dites avoir été absente toute la journée. Et votre fille ? Où était-elle ?

— Ici. Nous avons obtenu l’autorisation de la scolariser à domicile. Une femme qui parle haoussa vient lui donner des cours tous les matins. – Les doigts ornés de bagues de Yetunde lâchèrent la main de Muna pour lui caresser la joue. – Les enfants peuvent être si cruels. Mon mari ne voulait pas risquer qu’ils se moquent d’elle à cause de son handicap.

— Elle ne prend pas de cours d’anglais ?

— Non. Elle a déjà du mal à s’exprimer en haoussa.

— Pourquoi son professeur n’a-t-il pas décroché quand l’école a téléphoné ?

— Ça ne fait pas partie de ses attributions. Elle n’est pas payée pour répondre à des appels qui ne lui sont pas destinés. – Yetunde se tamponna les yeux avec un mouchoir en papier. – Moi qui ne sors presque jamais ! N’importe quel autre jour, j’aurais été là.

— Vous nous avez dit avoir compris qu’il était arrivé quelque chose d’inhabituel en consultant le répondeur, à votre retour, à dix-huit heures. – Toujours accroupie, la Blanche dévisageait Muna attentivement. – Votre fille a tout de même dû s’étonner qu’Abiola ne rentre pas à l’heure habituelle. Voulez-vous bien lui demander pourquoi elle ne vous a pas prévenue dès que vous avez ouvert la porte ?

Yetunde pinça la taille de Muna.

Elle parle d’Abiola. Regarde-moi et prends l’air soucieux. Dis quelque chose.

Muna tourna la tête et chuchota les seuls mots qu’elle était autorisée à prononcer :

Oui, Princesse. Non, Princesse. Puis-je faire quelque chose pour vous, Princesse ?

Yetunde s’essuya à nouveau les yeux.

— Elle a cru qu’il était avec notre aîné, Olubayo. Il lui arrive d’emmener son petit frère au parc. – Un gros soupir s’échappa de sa poitrine. – Si seulement j’avais été là ! Nous avons perdu un temps si précieux !

Muna se demanda si la Blanche ajouterait foi à un tel mensonge et garda le regard soigneusement baissé de crainte que les yeux bleus ne lisent dans les siens que Yetunde fabulait. Muna avait tout intérêt, elle le savait, à ce qu’on la croie trop sotte pour apprendre une autre langue que le haoussa.

— Nous allons devoir fouiller la maison et le jardin, madame Songoli. J’espère pouvoir compter sur votre compréhension, annonça la Blanche en se relevant. C’est la procédure habituelle en cas de disparition d’enfant. Abiola a pu se cacher quelque part au lieu d’aller à l’école. Nous essayerons de vous occasionner le moins de gêne possible, mais je vous demanderai de faire descendre votre fille au rez-de-chaussée pour que l’ensemble de votre famille soit réuni dans une seule pièce.

Si Muna avait été sensible au comique de situation, elle aurait certainement ri en entendant Yetunde ordonner à Olubayo de la traiter comme sa sœur.
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